Décryptage #3 | Rupture[s]

A la recherche d’alternatives au pernambouc, bois privilégié des archetiers

Magazine Science & Société | Décryptage #3 | Rupture[s]

 


Originaire du Brésil, le Pernambouc est utilisé depuis deux siècles dans la fabrication des archets, mais est devenu une espèce protégée. Des alternatives sont déjà proposées, la fibre de lin est aussi à l’étude.

 

« Nous savons bien que le Pernambouc est le seul bois avec lequel nous pouvons faire nos archets. » Voici une petite phrase d’archetier que Romain Viala, responsable du pôle d’innovation de la facture instrumentale à l'Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM) et chercheur associé au Laboratoire d'Acoustique de l'Université du Mans (LAUM - UMR CNRS 6613), entend souvent. Il réagit en expliquant : « Beaucoup d’archetiers attribuent une caractéristique à une matière par essence, alors que le Pernambouc n’a pas le “son du Pernambouc”.  Il possède des caractéristiques (densité, rigidité, dureté, amortissement) qui lui confèrent la capacité d’être utilisé par la facture instrumentale pour faire des archets modernes, mais ce n’est pas intrinsèque ! ».

Quelle est donc l’histoire de ce bois qui suscite tant d’émotions et déchaine même les passions ?
Originaire du Nordeste du Brésil, de couleur brun-rouge, le Pernambouc est utilisé dans le monde entier pour la fabrication des archets de forme moderne.
La ressource s’est raréfiée en raison de la réduction de son habitat - la forêt Atlantique - mais son exploitation s’est poursuivie. En 2007, le Brésil a demandé sa classification à l’Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) : ce classement n’interdit pas complètement son commerce, mais le régule au moyen de permis d’exportation émis par le Brésil.

 

C’est à cette période que Frédéric Ablitzer, enseignant-chercheur en acoustique au LAUM, a mené une thèse sur les propriétés des archets : « Les archetiers eux-mêmes se posaient des questions sur l’utilisation du Pernambouc et sur le lien entre le choix du bois et les qualités conférées à l’archet.
La thèse a abouti sur un transfert d’outils de caractérisation des paramètres mécaniques auprès des archetiers : la plateforme d’aide à la facture instrumentale, PAFI archet ».

Malgré l’introduction de la fibre de carbone et la proposition d’autres essences comme alternatives, le Pernambouc demeure la matière la plus prisée des archetiers et continue de faire l’objet d’un commerce parfois clandestin et de saisies régulières. « Certains archetiers ont conscience qu’ils doivent changer leur pratique et sont vraiment en demande de ces alternatives », nuance Frédéric Ablitzer.

Une dizaine d’entre eux sont d’ailleurs venus récemment en formation à l’ITEMM afin de mesurer les caractéristiques techniques et mécaniques des archets. « En effet, on peut être un très bon archetier sans nécessairement mesurer la rigidité ou l’amortissement du bois qu’on utilise », complète Romain Viala.

 

Lobbying pro-pernambouc

En 2022, la profession a échappé de justesse à un classement du Pernambouc à l’Annexe I (devenue depuis Annexe A) de la CITES, ce qui en aurait réglementé fortement l’exportation du Brésil et l’importation dans chaque pays, à l’image de l’ivoire. En France, deux cents grands noms de la musique se sont mobilisés autour d’une pétition réclamant de ne pas « entraver la diffusion de la culture en général et de la musique en particulier sous de faux prétextes ».

Mais revenons au point de vue de la recherche. « Les archets ont convergé vers une forme inchangée depuis deux siècles », relate Frédéric Ablitzer. « Pour changer de matériau, de légères modifications géométriques seront certes nécessaires : repenser les épaisseurs (pour la distribution de la raideur et de la masse) et la cambrure de l’archet, mais cela ne se jouera que sur quelques dixièmes de millimètres, sans modifier la forme globale ni altérer la fonctionnalité ».

Romain Viala ajoute : « Bien que les fibres de carbone en composite ont des propriétés mécaniques très différentes du bois, elles sont parfois utilisées en alternative au Pernambouc. Mais elles font des archets aux caractéristiques différentes et posent des problèmes d’usinage et de sécurité. Courtes, rigides et enrobées de matrices époxydes, elles peuvent être dangereuses pour la santé. De notre côté, nous travaillons sur la fibre de lin : c’est un matériau renouvelable, dont il existe une industrie en Normandie et dont les caractéristiques mécaniques d’amortissement se rapprochent davantage du bois que le carbone »

 

Selon les chercheurs, aucune étude sérieuse en aveugle, menée auprès de musiciens et auditeurs pour évaluer la différence entre le Pernambouc et ses alternatives, n’a démontré de différence dans la perception sonore. « La sensation du musicien en situation peut, elle, être plus sensible, mais à caractéristiques mécaniques équivalentes, il n’y pas de raison de penser qu’une différence soit perçue et ce ne peut être une question de son. Quand une matière se porte mal dans son état sauvage, on doit agir en conséquence. Il va bien falloir rouvrir la fenêtre de sélection des matériaux », conclut Romain Viala.

 

Frédéric Ablitzer enseignant-chercheur en acoustique et porteur du projet MAESTRAFONE : Matériaux Architecturés et Structures
Alternatives pour la Fabrication de cordophones
Romain Viala, responsable du pôle d’innovation de la facture instrumentale à l'Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM) et chercheur associé au LAUM
Laboratoire d'Acoustique de l'Université du Mans [LAUM - UMR CNRS 6613]