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Pourquoi fallait-il une loi Pacte, cinq ans après la loi ESS ?

Pourquoi fallait-il une loi Pacte, cinq ans après la loi ESS ?

Pourquoi fallait-il une loi Pacte, cinq ans après la loi ESS ?

La loi Pacte aurait pu capitaliser sur le modèle de l’ESS défini dans la réglementation depuis 2014 pour créer plus de synergies. Viorel Sima/Shutterstock
Maryline Filippi, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay; Eric Bidet, Le Mans Université et Nadine Richez-Battesti, Aix-Marseille Université (AMU)

La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), adoptée le 22 mai 2019, entend réconcilier l’entreprise et la société. Cet impératif se justifie du fait des scandales financiers et autres dérives de la financiarisation qui ont mis au banc des accusés l’entreprise, accusée de ne servir que les seuls intérêts de ses actionnaires. Cette loi entend répondre à cette préoccupation en rendant possible la création d’entreprises à mission et en donnant à chacune d’elles la possibilité d’inscrire dans ses statuts une « raison d’être » afin de rendre opposable, sur un plan juridique, les manquements aux missions affichées.

Désormais, les structures soucieuses de montrer leur engagement vis-à-vis du développement durable ou des enjeux sociaux et sociétaux disposent donc de différentes options : s’inscrire dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), obtenir un statut d’entreprise ESS (économie sociale et solidaire) et/ou un agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale), ou encore se doter d’une raison d’être.

La loi ESS du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire consacre les principes fondamentaux de ce modèle et offre déjà la possibilité à des entreprises commerciales d’utilité sociale de faire reconnaître leur conformité à ces principes. Ces principes sont les suivants : un but qui ne se limite pas au seul partage des bénéfices, une gouvernance statutairement démocratique et non fondée sur le capital détenu, ainsi qu’une distribution des excédents qui obéit à des règles strictes assurant que ceux-ci sont majoritairement consacrés à la pérennisation de la structure.

Modèle dépassé ?

Propres aux entreprises d’ESS, ils reflètent, s’ils sont correctement mis en pratique, une démarche de RSE intégrée où les objectifs sociaux et environnementaux sont au cœur de l’activité économique et non d’éventuels effets induits. Le modèle de l’entreprise d’ESS, regroupant coopératives, mutuelles, associations, fondations et entreprises commerciales d’utilité sociale, semble a priori en mesure d’apporter une réponse tout à fait pertinente à l’enjeu de la prise en compte d’attentes sociétales.

Dès lors, on ne peut qu’être surpris de l’absence de référence à l’entreprise de l’ESS dans la loi Pacte. En lisant le rapport Notat et Senard qui a inspiré le texte, on s’aperçoit que l’ESS est perçue comme un modèle dépassé, allant à l’encontre de son développement important depuis une trentaine d’années et de sa reconnaissance par la Loi de 2014. Ces auteurs écrivent en effet que :

« Si l’économie sociale et solidaire (ESS) a constitué une “troisième voie” entre l’action publique et l’économie de marché, il semble qu’une autre voie puisse se dessiner, celle d’une économie responsable, parvenant à concilier le but lucratif et la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux. »

Autrement dit, le modèle d’ESS est considéré au mieux comme marginal, pouvant apporter éventuellement une réponse originale à la seule question de la participation des salariés à la gouvernance.

L’ESS peu prise en compte

Pourquoi cette méconnaissance, et comment expliquer deux lois distinctes pour parler d’une entreprise responsable ? S’agit-il d’une remise en cause voilée de l’entreprise de l’ESS, d’un parti pris idéologique sur l’entreprise ? Faut-il en déduire que ce que propose l’entreprise d’ESS en matière de responsabilité de l’entreprise soit trop contraignant ? A contrario, comment comprendre le choix de la Maif, entreprise historique de l’ESS, d’adopter le statut d’entreprise à mission ? Assisterait-on à un renouvellement de l’entreprise de l’ESS ?

Nous avons investi ce questionnement en croisant une analyse bibliographique et une analyse des pratiques mises en œuvre par les organisations de l’ESS. En revenant sur les attentes sociétales auxquelles les démarches RSE et la loi Pacte tentent de répondre, nous montrons le caractère paradoxal de la faible prise en compte de l’ESS dans le texte promulgué en 2019.

Cela nous semble donc aussi l’occasion de repenser le modèle de l’entreprise de l’ESS. Nous soulignons que la contribution environnementale de l’ESS n’est pas inhérente au modèle lui-même et que la variété des pratiques dans ce domaine n’apporte pas de réponse solide et univoque. L’exercice de la gouvernance est dès lors essentiel. Il y a donc un enjeu majeur à disposer d’outils appropriés de mesures d’impact pour identifier plus précisément la contribution des entreprises de l’ESS à la dimension environnementale de la RSE.

Il en est de même en matière sociale, notamment en termes de conditions de travail, de participation des salariés aux instances de décision, et de qualité des emplois créés par l’ESS. Ces difficultés propres à l’évaluation de leurs performances, de leurs impacts et de leurs innovations masquent pourtant leur résilience particulière, notamment en temps de crise et leurs réelles avancées.

On pourra donc regretter que la loi Pacte n’ait pas davantage capitalisé sur le modèle de l’ESS pour créer plus de synergies. Les entreprises de l’ESS sont en effet des lieux d’expérimentation pour apporter une réponse originale aux besoins sociétaux. Elles s’appuient sur des investissements citoyens pour répondre à l’échelle locale à la complexité des problèmes posés initiant des innovations sociales. Elles sont des viviers d’apprentissage. Elles pallient aussi des désengagements de l’État. Elles peuvent enfin contribuer durablement à réconcilier l’entreprise et la société s’inscrivant dans l’objectif de la loi Pacte. Le positionnement plus général des entreprises de l’ESS dans la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies participe ainsi à une certaine régénérescence pour elles tout en inspirant les entreprises tentées par l’expérimentation de leur « raison d’être ».The Conversation

Maryline Filippi, Professeur d'économie Université de Bordeaux BSA, Chercheur associé INRAE, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay; Eric Bidet, Maître de conférences, Responsable du Master ESS, Le Mans Université et Nadine Richez-Battesti, Maître de conférences en sciences économiques, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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