The Conversation
Traité mondial contre la pollution plastique : en coulisses, le regard des scientifiques français présents
Pas un mois ne passe sans que la pollution plastique ne fasse l’actualité d’une façon ou d’une autre. Il faut dire que nul écosystème n’échappe à la pollution plastique. En moins d’un siècle, nous avons produit deux fois plus de plastique en masse qu’il n’existe d’animaux sur terre.
La majeure partie de ces plastiques deviennent finalement des déchets et contribuent à la saturation d’un système de gestion déjà à bout de souffle. Mais la problématique de la pollution plastique va bien au-delà de la question des déchets mal gérés : les plastiques polluent à toutes les étapes de leur cycle de vie. C’est ainsi qu’ils affectent tous les écosystèmes, du fond des océans jusqu’à l’air que nous respirons, en passant par les sols qui nous nourrissent.
L’idée d’un tel traité s’est concrétisée en mars 2022, lorsque le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a adopté une résolution historique. Votée par 175 pays, elle vise à mettre en place un instrument international pour mettre fin à la pollution plastique. L’enjeu de ces négociations est d’aboutir à un traité avant la fin 2024, avec cinq sessions de négociations prévues.
Une cinquantaine de membres d’une coalition de scientifiques y ont participé en tant qu’observateurs pour peser dans les négociations et y faire valoir des arguments scientifiques et indépendants de tout lobbying. Les neuf chercheurs français que nous sommes en faisions partie.
Une coalition scientifique pour peser dans les négociations
Or, le comité intergouvernemental de négociation (CIN) du Traité sur les plastiques ne dispose pas d’interface science-politique. Un organe subsidiaire science-politique est en cours de négociation en ce qui concerne les produits chimiques, les déchets et la prévention de la pollution, sur le modèle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour l’accord de Paris sur le climat.
Des experts indépendants ont donc décidé de former une coalition internationale de scientifiques pour rapporter les faits scientifiques de façon indépendante lors des négociations du traité. La coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques s’est ainsi constituée en novembre 2022. Elle compte aujourd’hui plus de 350 scientifiques dans le monde et s’appuie sur une politique très stricte en matière de conflits d’intérêts, notamment vis-à-vis des industries chimiques ou pétrolières.
Depuis sa création, la coalition des scientifiques a produit 17 notes d’information et de synthèse pour sensibiliser sur les connaissances scientifiques actuelles relatives aux plastiques.
Plusieurs réponses courtes ont ainsi été rédigées par la coalition des scientifiques pendant la tenue des négociations en réaction à des déclarations infondées de représentants de certains États.
Nous l’affirmons : notre rôle est de rendre compte de l’état actuel des connaissances scientifiques produites par des organismes indépendants, ou de toute information utile aux négociateurs lors des négociations du Traité. Les lobbys industriels représentaient 10 % des participants à l’occasion des dernières négociations, et certains d’entre eux n’ont pas hésité à aller jusqu’à nier l’évidence de la pollution plastique.
Prendre en compte le cycle de vie complet des plastiques
Notre première victoire a été de recentrer les débats non pas sur la gestion des déchets, mais sur le cycle de vie complet des plastiques, qui est l’objet du mandat initial donné au PNUE. Le cycle de vie du plastique commence en effet avec l’extraction des matières premières (99 % des plastiques sont dérivés du pétrole) et inclut les différentes étapes de production et de transformation des plastiques, leur conditionnement, leur distribution et leur consommation.
Le cycle de vie du plastique se situe bien au-delà de la simple « gestion » des déchets. La pollution mondiale, estimée à plusieurs dizaines de millions de tonnes rejetées dans l’environnement chaque année, démontre à elle seule l’échec des politiques de gestion des déchets qui a mobilisé énormément de moyens sans donner les résultats escomptés. Seuls 9 % des déchets plastiques sont recyclés à l’échelle planétaire, mettant à mal l’image d’une économie dite « circulaire ».
En France, nos poubelles jaunes peinent à recycler tous les déchets plastiques (en 2021, 59 % des bouteilles et flacons l’étaient, mais seulement 11 % des autres emballages en plastique). La grande majorité termine dans des incinérateurs qui, même contrôlés, polluent l’atmosphère, ou dans des décharges qui contaminent les sols et les eaux. Les dangers pour la faune et la flore terrestre ou aquatique et jusqu’à l’humain ont été démontrés et rapportés dans de nombreux articles scientifiques.
Diminuer la production mondiale de plastiques
Prendre en compte l’ensemble du cycle de vie du plastique est la position de la Coalition de Haute Ambition (HAC en anglais), qui rassemble 65 pays de tous les continents – dont la France, représentée par l’Union européenne dans ces négociations – et soutient des objectifs ambitieux pour le Traité.
La coalition des scientifiques a montré que la lutte contre la pollution plastique repose en priorité sur la diminution de la production mondiale des plastiques primaires, qui a dépassé les 400 millions de tonnes par an en 2019.
Évidemment, de nombreux pays producteurs de pétrole s’y opposent, mais les récentes déclarations des pays du G7 (dont les États-Unis et le Canada) qui se sont engagés à réduire cette production ont légitimé cette option.
Pour réduire la production de plastiques, la coalition des scientifiques engage à des réflexions pour se demander si les plastiques sont essentiels, soulevant la question des besoins fondamentaux face à la surcommercialisation de plastiques non essentiels. Agir contre ces plastiques, tels que ceux à usage unique ou ceux du secteur de l’emballage, offre des pistes pour contribuer à la réduction de la production de plastiques.
S’attaquer aux produits chimiques
Un troisième enjeu est la réglementation, la simplification et la réduction des produits chimiques qui constituent aujourd’hui les plastiques. Parmi une longue liste de plus de 16 000 substances chimiques retrouvées dans les plastiques commercialisés, plus de 4 300 ont des effets toxiques avérés et la moitié ont des impacts encore inconnus.
Les scientifiques ont ainsi établi une liste noire de produits chimiques dangereux, exigeant par la même occasion la levée du secret industriel pour une transparence et un étiquetage des produits mis sur le marché.
L’enjeu est la prise en compte sans réserve des impacts des plastiques et de leurs composés chimiques sur la santé humaine et environnementale dans le Traité.
Faire payer les responsables
Un autre enjeu concerne la responsabilité élargie des producteurs. La pollution plastique contribue à la triple crise planétaire qui inclut le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution. Qui doit payer pour les effets des plastiques tout au long de leur cycle de vie, sur la santé humaine et la santé de l’environnement ? Comment répartir les coûts entre producteurs et consommateurs ?
L’enjeu est de ne pas limiter les mécanismes de financement qui seront définis dans le Traité au seul traitement des déchets, mais de s’assurer qu’ils financent également une transition juste vers moins de consommation de plastique, pour toutes les populations, en particulier les plus fragiles. Les mécanismes financiers devraient ainsi prendre en compte le coût de l’effet des plastiques sur le changement climatique, sur la perte de biodiversité, et sur la pollution.
Lors de ces négociations, l’impact positif des efforts de partage de connaissance de la coalition des scientifiques a été souligné par de nombreux représentants des gouvernements. Les chercheurs français ont été particulièrement sollicités par les représentants des pays, notamment francophones.
Les campagnes de désinformation et les nouveaux cas d’intimidation de scientifiques par des lobbyistes n’ont pas empêché de nombreux pays de mettre en avant l’importance de fonder le Traité sur des faits scientifiques robustes et indépendants. Le travail continue pendant l’intersession avant la dernière étape pour la finalisation du Traité en novembre 2024 à Busan (Corée du Sud).
Auteurs :
Fabienne Lagarde, enseignante-chercheuse en chimie à Le Mans Université
Jean-François Ghiglione, directeur de recherche, Ecotoxicologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Gabin Colombini, chercheur postdoctorant en biogéochimie des sols à l'Institut de Recherche pour le Développement, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Juan Baztan, chercheur en sciences de l'environnement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Marie-France Dignac, directrice de recherches sur la biologie des sols à l'INRAE
Muriel Mercier-Bonin, chercheuse à l'Inrae
Stéphanie Reynaud, Directrice de recherche CNRS à l'Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)
Tara Olsen, chercheuse à Lund University
Xavier Cousin, chercheur en physiologie et écotoxicologie à l'Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.