Décryptage #3 | Rupture[s]

Rendre visible l’invisible : la chimie au service de l’archéo-histoire

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Suivez l'équipe du projet Solarchéochimie dans ce mini documentaire.

 

Les outils d’analyse actuels offrent une méthode de prospection innovante aux archéologues, en leur permettant d’étudier la chimie des sols avant d’entamer les fouilles.

La forêt de Perseigne, au Nord de la Sarthe, abrite un site archéologique médiéval précieux. Dans la mémoire locale, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un ermitage relié par un souterrain à l’abbaye de Perseigne, et qui aurait renfermé une partie du légendaire trésor des Templiers… Mais à Perseigne comme sur 16 autres sites français, la rumeur n’a pas bonne presse au sein de l’équipe de Solarchéochimie.
L’historienne bioarchéologue Aline Durand, le doctorant Arthur Laenger, tous deux du Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire (CreAAH - UMR CNRS 6566), et le chimiste Arnaud Martel de l’Institut des Molécules et Matériaux du Mans (IMMM - UMR CNRS 6283) ont en effet développé une méthode inédite pour vérifier un certain nombre de faits.
« Sur Perseigne par exemple », entame Arthur Laenger, « nous pouvons apercevoir un premier bâtiment, mais les documents historiques font référence à plusieurs édifices et à la présence d’une dizaine de personnes sur site. Il s’agit en réalité d’un couvent de l’ordre des Minimes, et non pas d’un ermitage lié à l’abbaye de Perseigne, appartenant à l’ordre cistercien.

De manière générale, si les archéologues disposent de nombreux outils pour la prospection des sites archéologiques, ceux-ci permettent principalement de repérer les formes des bâtiments, sans fournir d’indications sur leurs fonctions. L’analyse chimique, en revanche, nous permet d’approcher ces aspects fonctionnels. »

 

Une soixantaine d’éléments analysés

L’équipe se déplace sur le terrain avec du matériel classique pour des archéologues (tachéomètre, pelle, etc ...), mais elle a ajouté à son arsenal des outils pour prélever des échantillons de sol. De retour à l’université, l’enquête commence.

« L’idée d’utiliser l’analyse chimique pour mieux comprendre l’histoire d’un sol n’est pas nouvelle », analyse Arnaud Martel. « Nous disposons des travaux de deux chimistes : Arrhenius qui a établi le lien entre la présence de phosphore et les déjections animales, et Luis Barba qui a proposé plusieurs corrélations entre les éléments chimiques présents dans le sol et l’activité humaine sur le site. Mais la panoplie d’éléments utilisables s’est considérablement élargie depuis. »
Pour rendre visible l’invisible, l’équipe utilise en priorité un spectromètre de fluorescence des rayons X, dont les performances ont connu une nette amélioration ces dernières années et avec lequel les résultats peuvent être couplés à des analyses thermogravimétriques, de carbone total, d’azote total, ou à des mesures de pH. Ainsi, échantillon après échantillon, analyse après analyse, l’étau se resserre autour des différents scénarii possibles.

Arthur Laenger complète : « Lorsque les données sont traitées, les résultats se présentent sous forme de carte. Nous examinons une soixantaine d’éléments mais, dans les faits, seule une vingtaine seront vraiment utiles. »

Une fois les données acquises et la carte dressée, que signifie la présence de tel ou tel élément chimique sur la carte ? « Pour des éléments comme le phosphore, le calcium, le fer, l’interprétation est simple et bien documentée », détaille Arnaud Martel. « Par contre, pour des éléments plus rares comme le manganèse ou le soufre, cela a nécessité une recherche bibliographique plus approfondie et même des expériences nouvelles. Ces études ont révélé que le manganèse était généralement très présent dans l’écorce de bois et donc dans les cendres tandis que le soufre est abondant dans les urines, mais aussi les poils ou les plumes. »

Un séchoir à viande s’est avéré être une forge

Retour dans la forêt de Perseigne. « La présence importante de calcium a permis de repérer la probable position d’un second bâtiment, cet élément chimique entrant dans la composition des matériaux de construction employés », confirme Arthur Laenger. « Nous avons aussi constaté, d’une part, que le pH était plus élevé sur cette zone, ce qui indique un traitement du sol pour l’agriculture et, d’autre part, l’absence de marqueurs liés à l’élevage. Ces résultats sont cohérents avec les règles de l’ordre des Minimes, qui précisent qu’ils doivent être autosuffisants en nourriture et ne pas consommer de produits animaux. »
L’analyse géochimique présente deux avantages : percer à jour les activités qui ont eu lieu sur les sites, et permettre une meilleure planification des besoins en équipement et en personnel lors des opérations archéologiques.

Sur l’ensemble de nos sites analysés, nous sommes allés de surprise en surprise ! Un séchoir à viande s’est révélé être en réalité une forge, tandis qu’une forge présumée était en fait une étable. Des cabanes de berger se sont avérées être, plus probablement, des structures de stockage de minerai. Que ce soit pour de la prospection ou des fouilles, ces outils d’analyse devraient être utilisés par tous les archéologues ».

Aline Durand

 

Aline Durand, enseignante-chercheuse en histoire et archéologie du Moyen-Age et porteuse du projet SolArchéochimie
Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire (CreAAH - UMR CNRS 6566)
Arthur Laenger, doctorant au Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire (CreAAH - UMR CNRS 6566)
Arnaud Martel, enseignant-chercheur en chimie à l’Institut des Molécules et Matériaux du Mans (IMMM - UMR CNRS 6283)