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Articles publiés en 2023

Après la thèse, pourquoi faire un postdoctorat ?

De la collecte de données à la valorisation de ses travaux en passant par la publication d’un premier article scientifique, L’expérience de la thèse en management documente les défis qui se posent aux doctorants. En s’appuyant sur les retours de terrain de jeunes chercheurs, les coordinateurs de l’ouvrage, Hugo Gaillard, Julien Cloarec, Juliette Senn et Albane Grandazzi, invitent les lecteurs à remettre en perspective les questionnements qui surgissent à chaque étape de leur parcours. Ci-dessous, voici un extrait de la cinquième partie de l’ouvrage consacrée au choix de poursuivre en postdoctorat.

Les bonnes raisons d’effectuer un postdoc

Plutôt qu’un contrat, il serait plus adéquat de parler d’une période de transition entre la thèse et la prise de poste, tout comme le décrit le récent Code de la recherche qui statue sur les différentes « modalités particulières d’emploi scientifique ». En pratique, le chemin peut être long et parsemé d’embûches, d’autant plus qu’il intervient déjà après la longue période de la thèse. Cette transition nous paraît un bon choix si le postdoc donne les bons outils pour obtenir le poste que l’on vise ensuite. Il faut donc l’envisager comme une première étape dans sa carrière. En effet, « faire un postdoc pour faire un postdoc » n’est pas une bonne option. En revanche, trois raisons nous semblent particulièrement pertinentes pour poursuivre dans cette voie.

a) Développement des compétences pour trouver un poste

Le postdoc est avant tout un bon moyen de compléter son profil de recherche, qui passe souvent par la publication de travaux liés à la thèse, et le bien nommé « job market paper » dans le monde anglo-saxon. La tendance du postdoc est donc largement soutenue par la nécessité de publier à l’ère du « publish or perish ». C’est donc l’occasion de publier des résultats de sa thèse par exemple, ou d’un autre projet de recherche débuté en parallèle. Comme explicité plus haut dans l’introduction, il n’est pas dans cette optique un moyen de retarder la prise de poste, encourageant les postures indécises.

Ce serait biaisé pour autant de ne penser uniquement le postdoc au travers de la recherche. Il permet de compléter son profil dans tous ses aspects, par exemple celui de l’enseignement dans le cas où l’on aurait peu enseigné : par exemple, lors des thèses CIFRE où l’enseignement est optionnel. Il permet également de développer son « réseau », à savoir s’intégrer dans des communautés scientifiques françaises et internationales. Ainsi, le postdoc va pouvoir se construire un statut dans sa communauté, ce qui pourra lui offrir des opportunités de carrière.

Enfin, il est un moment privilégié pour sa recherche de poste : un moyen de gérer la « file d’attente » découlant du fait qu’il y a beaucoup plus de docteurs que de postes disponibles. Les postes de maîtres de conférences (MCF) sont en déclin depuis 10 ans alors que le nombre de candidats qualifiés augmente, même si cela dépend des disciplines. À titre d’illustration, il est très difficile de trouver des candidats en comptabilité. Par ailleurs, il permet de répondre à une internationalisation du marché du travail, en particulier dans des écoles où le recrutement s’étend largement au-delà de nos frontières : les doctorants français, ayant soutenu leur thèse de doctorat en université, sont en concurrence avec des PhD qui ont quatre à cinq ans d’expérience, avec des publications déjà intégrées à leur thèse. De ce point de vue, s’engager dans un postdoc après l’obtention d’un doctorat français peut paraître logique si l’on désire obtenir un poste en école où le recrutement est fortement internationalisé. A noter que le postdoc est aussi courant pour des PhD ayant déjà 4 à 5 ans d’expérience.

b) Cultiver la dimension internationale

L’évolution de la formation doctorale encourage une culture académique internationale. Pour autant, faire un postdoc n’implique pas nécessairement de partir dans un pays étranger. Tout dépend de l’endroit où l’on souhaite poursuivre sa carrière. Partir à l’étranger pendant la période postdoctorale peut paraître en effet comme un atout : style d’enseignement, nouvelles idées qui façonnent le travail de recherche, ou encore l’exposition à une culture académique différente. La dimension internationale est surtout synonyme de nouvelles connexions avec d’autres chercheurs internationaux, ouvrant les portes à plus d’opportunités de co-écriture en particulier. En cela, c’est avant tout un élargissement des perspectives de recherche, de la visibilité de son travail, et des codes appris jusqu’alors. Cependant, il nous semble important de mentionner qu’« internationaliser » son postdoc est également envisageable en restant dans son pays d’origine. Par exemple, beaucoup de grandes écoles de commerce sont insérées dans des réseaux internationaux de par leur recrutement. Le chercheur peut donc s’engager dans cette dimension internationale à plusieurs niveaux.

c) L’émancipation du jeune chercheur

Enfin, un des atouts indéniables du postdoc est de s’émanciper de son laboratoire d’origine, de son directeur ou directrice de thèse, d’affirmer son projet, et en fin de compte, de contribuer grandement à construire son identité d’académique. Pour Olivier Germain et Laurent Taskin « toute relation entre le directeur et son doctorant devrait constituer un espace d’émancipation et de confrontation », discutant l’étude de Wright, Murray et Geale sur la typologie des rôles de directeurs de thèse et leurs finalités.

 

En effet, le doctorat en France reste très marqué par la présence visible d’un directeur ou d’une directrice de thèse. Cette personne guide tant les recherches, que les réseaux académiques dans lesquels « son » doctorant (le pronom possessif étant lui-même révélateur) s’inscrit. Même si on note des évolutions importantes sur ce point, en particulier avec la forte augmentation des thèses co-dirigées depuis dix ans, ou par l’instauration de comités de thèse qui suivent l’évolution du doctorant avec des professeurs externes, il n’en demeure pas moins que le doctorat à la française privilégie encore une relation bilatérale. Nous ne souhaitons pas critiquer cet aspect : c’est aussi ici que se joue la beauté du compagnonnage académique selon nous, même s’il n’est pas exempt de certaines dérives, et nous ne pouvons que le déplorer. Pour autant, il nous semble important qu’un jeune docteur puisse travailler en direct avec d’autres collègues, professeurs, au sein d’un laboratoire qui n’est pas celui qui l’a d’abord vu comme doctorant.

 

Par ailleurs, au-delà de cet aspect identitaire, cela lui apportera aussi de nouvelles méthodes de travail, de fonctionnement d’un département, d’une équipe de recherche, des traditions théoriques pouvant être complémentaires. Les relations entre collègues, l’environnement de recherche et d’enseignement, les relations avec les étudiants sont des points qui peuvent varier fortement d’une institution à l’autre. Le postdoc permet donc de développer sa recherche qui peut être vue comme un processus d’apprentissage qui s’étire parfois jusqu’à plusieurs années après l’obtention du doctorat (Höhle et Teichler, 2013). Ce processus structure l’identité du chercheur. En cela, le postdoc permet de développer sa propre identité scientifique et de sortir de ce qui est parfois considéré comme la « coupe » du directeur ou directrice de thèse.

En ce sens, le postdoc peut permettre de savoir quoi viser précisément dans sa recherche de poste. D’après les retours d’expériences dont nous disposons, il est parfois nécessaire pour affiner son projet professionnel, en découvrant d’autres univers académiques. C’est donc un jeu d’équilibriste entre chercher un postdoc cohérent avec son projet professionnel, tout en conservant une certaine latitude pour le faire évoluer.

Les risques et les pièges

Pour autant, nous avons conscience que le postdoc est souvent nécessaire pour obtenir un poste, tant les exigences sont multiples et élevées et parfois contradictoires : avoir conduit une recherche doctorale de qualité, avoir publié pendant sa thèse ou montrer des projets de publications déjà bien développés, avoir enseigné un nombre suffisant d’heures auprès de publics variés, être intégré dans les réseaux de sa communauté scientifique, être engagé dans la vie de son département et/ou de son équipe, etc. Le postdoc serait donc à ce titre l’étape souvent indispensable, et parfois non désirée par le doctorant lui-même, pour construire ce qu’on appelle souvent un profil du « mouton à cinq pattes ». À ce titre, il entraîne un certain nombre de risques et de pièges, qu’il nous semble particulièrement important de discuter ici.

a) Le postdoc, à la recherche du temps perdu ?

En premier lieu, le postdoc présente le risque de ne pas bien négocier le contenu exact de son poste, en particulier son temps de recherche. Les activités sont souvent mêlées entre recherche collective, personnelle, les services au laboratoire, des missions plutôt orientées sur la gestion de projet, l’organisation d’évènements scientifiques ou à destination de professionnels. Il est alors aisé de s’y perdre. Quel équilibre viser entre tous ces éléments ? Il est important d’expliciter le temps de recherche dont on veut disposer dans la négociation de son poste. C’est là une condition importante pour accepter ou non la proposition que vous aurez. D’après notre expérience et de celles de nos jeunes collègues, avoir 50 % du temps dédié à la recherche personnelle dans un postdoc constitue un bon équilibre. Ce chiffre pourrait paraître élevé dans certains contextes institutionnels, mais il est souvent indispensable pour pousser ses projets de l’après-thèse et trouver un poste permanent. Cela place réellement le postdoctorant dans une posture d’enseignant-chercheur, prêt à démarrer son premier poste académique.

b) L’engagement dans une institution

Le postdoc est souvent vu comme un temps précieux pour se concentrer sur son développement intellectuel, parfois en privilégiant certains aspects par rapport à d’autres. À l’inverse d’un poste d’enseignant-chercheur donc, il n’est pas surprenant d’observer une participation plus minime à la vie de l’institution : responsabilités administratives, projet d’encadrement, programme d’enseignement, service et même l’attachement affectif ne doit pas être comparable entre le postdoctorat et le poste. Notre propos n’est pas ici de décourager un investissement dans l’institution du postdoc, bien au contraire, mais de veiller toujours à respecter un certain équilibre entre cet engagement institutionnel et le développement de votre recherche.

En particulier si le jeune docteur se trouve bien identifié dans une institution, une sorte de « sur » engagement est parfois la pente naturelle que prennent de nombreux collègues. Sans présager de mauvaises intentions de la part des institutions qui les accueillent, les chercheurs postdoctoraux sont rarement encouragés, et encore moins obligés, à consacrer du temps à préparer une prise de poste future. Les méthodes de travail distribuées et souvent individuelles du métier académique ne permettent pas de donner à voir tous ces éléments aux yeux de l’institution qui vous emploie. Pour autant, la recherche et la préparation d’une prise de poste constituent une stratégie essentielle. Là aussi, c’est au postdoc de trouver le bon équilibre entre sa recherche personnelle, dont il doit veiller à la protection, et le développement de ses réseaux académiques, éléments indispensables dans l’obtention d’un poste permanent.

c) Les raisons personnelles

La décision de faire un postdoc est intrinsèquement liée à nos conditions et à nos étapes de vie personnelles. Cela peut paraître évident, mais pour réussir son postdoc, il faut pouvoir le réaliser dans de bonnes conditions, dans l’objectif de chercher un emploi par la suite. La précarité de ce type de contrat est bien trop souvent mise en avant, mais les situations sont variables d’une institution à l’autre. Sa situation personnelle, en particulier sa situation conjugale, mais aussi familiale et amicale, est essentielle à considérer. À notre sens, elle ne doit pas rester un des multiples éléments dans la balance, mais offrir les conditions de possibilités d’un postdoc conduit avec succès.

En confrontant nos expériences respectives, on peut par exemple trouver de nombreuses tensions caractérisées par le statut de chercheur féminin qui mettent à jour une tendance à invisibiliser la question du genre dans les carrières académiques. L’équilibre vie personnelle-professionnelle est souvent construit comme une tâche impossible et préjudiciable à la carrière des femmes (Toffoletti et Starr, 2016). La maternité est par exemple souvent reculée à l’obtention d’un poste permanent (voir, par exemple, Huppatz et coll., 2019). Autre exemple, les couples peuvent être à distance, à des centaines, et parfois des milliers de kilomètres. Notre intention n’est pas ici de donner un avis personnel, ou un guide de conduite à suivre. Pour autant, il nous semble important d’avoir ces éléments en tête pour poser un choix éclairé. Le postdoc peut ouvrir des portes professionnelles. Reste à savoir à quel prix…

Auteurs :
Hugo Gaillard - Enseignant-chercheur en sciences de gestion à Le Mans Université | Laboratoire ARGUMans
Albane Grandazzi - Professeur Assistant | Grenoble École de Management (GEM)
Juliette Senn, Assistant Professor | Montpellier Business School
Julien Cloarec - Assistant Professor of Data Science, iaelyon School of Management | Université Jean Moulin Lyon 3

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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Associer les salariés à la gouvernance : quels profils pour quelles perspectives ?

Associer les salariés à la gouvernance : quels profils pour quelles perspectives ?

La gouvernance des actionnaires est souvent mise en avant comme au moins partiellement responsable de nombreux scandales organisationnels. Orpea, Big Pharma, fusion Suez-Veolia ou Unibail, dans ces affaires qui ont fait l’actualité ces dernières années, ils ont chaque fois été, pour une raison ou une autre, pointés du doigt.

Face à cela, la France s’est posée comme pionnière en matière d’association des salariés à la gouvernance. La loi Pacte, promulguée le 22 mai 2019, a approfondi ce qui semble être un véritable modèle dit de « codétermination » à la française. La présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration (CA) avait été rendue obligatoire par la loi Sapin du 14 juin 2013, à raison de deux dès douze membres non-salariés. La loi Pacte a abaissée le seuil à huit et élargi l’obligation, sous certaines conditions, à des entreprises non-cotées.

Dans un rapport récemment publié, nous avons tenté de dresser un bilan de cette représentation des salariés dans les CA d’entreprises côtés du SBF 120 depuis début 2000. Des travaux récents avaient fait le lien entre représentation des salariés et différentes formes de performances (économique, financière, boursière, environnementale, de gouvernance), mais pointaient aussi la nécessité d’étudier ces relations au prisme des attributs sociodémographiques de ces administrateurs singuliers : quel est leur degré d’implication à la prise de décision ?

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Nous nous sommes intéressés aux deux catégories de salariés au sein des conseils d’administration (ou de surveillance) des entreprises : les administrateurs représentant des actionnaires salariés et les administrateurs représentant l’ensemble du personnel. Les tendances que nous relevons sont à la fois originales et contre-intuitives, et pallient l’absence de données statistiques consolidées sur le sujet.

Parmi les multiples angles adoptés dans le rapport, nous présentons ici trois tendances significatives issues de nos résultats en matière de féminisation, de modes de représentation et d’appartenance aux comités du CA.

Une féminisation en hausse… relative !

La féminisation des représentants des actionnaires salariés, pour commencer par ce point, est historiquement très faible. Un progrès notable a toutefois été induit par la loi dite « Copé-Zimmermann » du 27 janvier 2011 qui imposait un quota de 40 % minimum de représentant de chaque sexe au sein des conseils d’administration.

La tendance à la féminisation des CA par les représentants des actionnaires salariés semble cependant désormais réversible car ils ne sont plus pris en compte dans le calcul de ce quota depuis la loi Pacte. Cette évolution visait à harmoniser le traitement des représentants des salariés et des représentants des actionnaires salariés dans le calcul du taux de féminisation des CA.

 

Cette nouvelle donne comptable pourrait conduire les organisations à devoir se reporter vers d’autres leviers de féminisation. D’autant que l’on remarque par ailleurs, en moyenne, une diminution de la féminisation des représentants des salariés dans les CA diminue sur 20 ans (passant de 50 à 40 %).

Une nouvelle donne syndicale ?

Rappelons ensuite que, depuis 2013, d’après le Code de commerce, les administrateurs représentant les salariés peuvent être déterminés selon quatre modalités distinctes : élus par les salariés ; désignés par le comité d’entreprise de la société (ou le comité de groupe ou comité central d’entreprise) ; choisis par l’organisation syndicale ayant obtenu le plus de suffrages au premier tour des élections (ou individuellement par les deux premières lorsqu’au moins deux administrateurs sont à désigner) ; nommé par le comité d’entreprise européen.

L’évolution légale a été tout sauf anecdotique. Elle a eu des conséquences notables sur certains attributs des administrateurs salariés, et plus largement sur la gouvernance.

 

On remarque notamment que l’organisation d’élections pour représenter les salariés aux CA devient un mode minoritaire dès 2014. Lors de la présentation de notre rapport à une assemblée de représentants, l’un d’entre eux nous expliquait que les raisons étaient, selon lui, très probablement liées aux coûts importants et à la complexité de l’organisation du scrutin, et que cette diminution se fait principalement au profit de la désignation par le Comité d’entreprise.

Dans l’internationalisation des entreprises réside un autre élément d’explication et l’apparition d’élus au niveau du Conseil européen d’Entreprise n’est pas sans conséquence. On observe déjà 15 % des représentants des salariés qui sont internationaux dès 2014. L’introduction de ces multiples modes a fait mécaniquement diminuer le taux des représentants salariés qui déclarent avoir une appartenance syndicale, et ce malgré la désignation rendue possible par les syndicats.

Les comités du CA, le nerf de la guerre ?

Un mot enfin sur les comités spécialisés. Leur mission est de contribuer aux réflexions du CA et d’accompagner la prise de décision de cet organe. Leur fréquence de réunion n’est pas fixe, elle est déterminée en fonction de l’avancée des travaux et ils fonctionnent par grandes thématiques (responsabilité sociale et environnementale, nominations, audit, rémunération, etc.).

Certaines entreprises systématisent la participation des administrateurs représentants des salariés à chaque comité spécialisé. C’est le cas d’Orange par exemple. L’Institut français des administrateurs, association qui veille à promouvoir une gouvernance responsable, recommande d’ailleurs cette systématisation, en accord avec les demandes des organisations syndicales.

Sur l’ensemble de la période, la participation est à la hausse, à la fois pour les représentants des salariés et pour les représentants des actionnaires salariés. Cependant, elle se fait de manière inégale selon les missions. Le comité Responsabilité sociale et environnementale (RSE), dont les créations se multiplient en lien avec les pressions sociétales et politiques, est souvent réservé aux représentants des salariés, au détriment, de l’avis de certains représentants, de leur participation au comité stratégique. C’est même un effet de glissement de l’un vers l’autre que l’on observe.

 

À l’instar de ce qu’ont par exemple fait Capgemini ou Vinci, les deux comités Stratégie et RSE pourraient être fusionnés en un seul. Cela permet, d’une part, de ne pas aborder les questions stratégiques sans aborder les questions de RSE, et, d’autre part, d’éviter de se servir du comité RSE comme un comité d’accueil des représentants des salariés que l’on voudrait, consciemment ou non, éloigner des questions stratégiques.

Nous disposons en tout cas désormais des données nécessaires pour étudier la diversité des administrateurs comme un levier de bonne gouvernance. Les travaux à venir seront d’autant plus importants que leur nombre croît dans les conseils.

 

Auteurs :
Mehdi Nekhili
- Professeur des Universités à Le Mans Université | Laboratoire ARGUMans
Hugo Gaillard - Enseignant-chercheur en sciences de gestion à Le Mans Université | Laboratoire ARGUMans

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Fait religieux en entreprise : à la fin, ce sont les managers qui créent les normes

La gestion du fait religieux devient un sujet qui s’impose depuis quelques années dans les organisations. En 2019, un rapport de l’Institut Montaigne, réalisé en collaboration avec l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), montrait que plus de 70 % des personnes ayant répondu à l’enquête rencontraient régulièrement (chaque jour, semaine ou mois) ou occasionnellement (chaque trimestre, plusieurs fois par an) des faits religieux au travail.

Plusieurs évolutions juridiques se sont succédé, la dernière en date étant la loi « séparatisme » devenue loi confortant le respect des principes de la République. Fin 2020, ce texte étendait l’application de la neutralité à certaines entreprises privées. Avant elle, la loi dite El Khomri précisait les conditions de restriction l’expression religieuse par le règlement intérieur. Ces renforcements juridiques faisaient suite à plusieurs affaires emblématiques, dont le dossier de la crèche Baby-Loup. En 2008, une employée de structure privée associative « loi 1901 » était licenciée pour refus d’enlever le voile. Après six ans de feuilleton judiciaire, la décision était avait finalement été confirmée par la justice française avant de faire l’objet, en 2018, d’un avis défavorable du Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Malgré ces repères juridiques, malgré les postures des entreprises, sur le terrain, on constate cependant que les règles restent avant tout fixées en interne, par les managers, au fil de cas rencontrés. Surtout, ces normes produites constituent une « jurisprudence managériale » qui s’impose pour la suite de la vie de l’équipe à ce sujet. C’est ce qu’il ressort de notre dernier travail de recherche (à paraître dans la Revue française de gestion) mené auprès de 31 managers.

Décalage de postures

Les types de situations rencontrées renvoient à des conséquences variées, et parfois contre-intuitives. D’abord, la décision conforme à la posture ne semble pas systématiquement conduire à un alignement global entre posture organisationnelle et posture opérationnelle, comme le reconnaît un manager interrogé :
« Des fois, t’es sûr de toi, c’est comme ça, tu ne sais pas l’expliquer, alors tu avances bille en tête, et les gars te tombent dessus quelques jours après. Dans mon cas, c’est ce qui s’est passé ».

En effet, lorsque l’alignement se fait de façon spécifique, c’est-à-dire pour une catégorie de faits (la prière, les signes, etc.), cela peut conduire certains managers, galvanisés par leur réussite, à raisonner par analogie sur d’autres catégories, et à prendre une posture managériale qui n’est pas conforme à la posture organisationnelle.


Cependant, certaines décisions prises sans connaître la posture organisationnelle se soldent parfois par une conformité à cette posture. La réussite entraîne alors un gain de confiance, et les critères mobilisés ne sont pas conscientisés, comme en témoigne un autre enquêté :
« J’ai décidé par logique, ma logique à moi, et puis comme ça a marché. Je ne l’ai su qu’après, c’est sûr, mais j’avais pris la bonne décision. […] J’ai raisonné un peu pareil ensuite, pas au feeling mais comme je le sentais. »


À l’inverse, lorsqu’une décision a été prise et qu’elle n’est pas conforme à la posture, une fois passée l’épreuve du déjugement personnel qui complexifie la période de consolidation de la posture opérationnelle, les encadrants se questionnent davantage concernant les autres catégories de faits religieux au travail.

Ce déjugement personnel reste problématique pour bon nombre d’entre eux, car il peut venir remettre en question leur positionnement et leur légitimité au sein de l’équipe, souligne un manager :
« Le problème c’est qu’une fois que tu as dit quelque chose, et que le lendemain tu viens dire le contraire, tu passes pour un rigolo, donc tu rames, tu expliques, tu dis que tu t’es trompé, et nous clairement, on ne peut pas se tromper tous les quatre matins ! »

Dans une situation d’absence de posture organisationnelle, les managers sont d’autant plus contraints de décider par eux-mêmes. Ils construisent ainsi une posture managériale locale et autonome, qui acte une dérégulation du fait. Cette posture semble ensuite difficilement réversible.

Notons également que, dans certains cas, la décision en différée conduit à la définition de la posture organisationnelle par le top management, qui se fait soit de façon spécifique par catégories de faits, soit de façon générale. Ici, c’est l’action managériale qui pousse le top à se positionner.

« On est payé pour savoir quoi faire »

Enfin, une conséquence plus négative des décisions prises en différé est qu’elles peuvent exposer le manager en matière de crédibilité. Un enquêté explique ainsi être parfois contrainte à affirmer qu’elle ne sait pas quelle décision prendre, pour faire patienter ses équipes :
« C’est toujours très délicat de ne pas savoir, enfin non, c’est toujours très délicat de le reconnaître. On est payé pour savoir quoi faire. »

Il semble donc plus facile de trouver un « terrain commun » lorsque la première décision, qui définit une posture managériale, s’est avérée conforme à la posture organisationnelle, malgré les risques que nous décrivons. Ces résultats peuvent également être mis en relief avec d’autres travaux de recherche qui montrent qu’une forte densité de fait religieux au travail complexifiait le travail du manager, confronté à un phénomène plus intense, plus fréquent et plus divers.

Le caractère quasi juridictionnel de l’action et de la posture managériales pourrait être dans ce type de situations encore plus marqué, car la remise en cause de cette posture pourrait y être encore plus forte, tout comme la difficile réversibilité d’une décision.

En abordant donc ce concept de management comme système quasi juridictionnel, cette étude permet de montrer comment le management construit une jurisprudence locale, au sens anglo-saxon du terme. Elle souligne de quelle manière ce « droit local » façonne les comportements futurs, et impacte le comportement des acteurs dans les situations.

Ainsi, ces résultats montrent bien l’effet de l’expérience du phénomène, et la nécessité d’anticiper la gestion de ce phénomène, y compris dans les organisations qui n’y sont pas encore confrontées. Se sachant producteur de jurisprudence par sa propre posture, le manager pourrait ainsi être invité à systématiquement réanalyser les situations dans le souci d’aligner les postures organisationnelle et opérationnelle. Un bon moyen de réduire l’écart entre les paroles et les actes, déjà identifié dans certaines entreprises.

 

Auteurs :
Hugo Gaillard - Enseignant-chercheur en sciences de gestion à Le Mans Université | Laboratoire ARGUMans
Olivier Meier, Professeur des Universités | Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Lutte contre les discriminations : comment épauler les managers ?

Le 30 janvier 2023, la première ministre Élisabeth Borne et Isabelle Rome, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances ont présenté leur plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations. Le gouvernement a notamment dévoilé 80 mesures qui entreront en vigueur d’ici 2026. Le plan prévoit notamment de multiplier les « testings » (envoi de deux CV similaires à l’exception de l’adresse du candidat) ou encore la création d’une « amende civile dissuasive ».

Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine (gouvernement, janvier 2023).


La lutte contre les discriminations reste en effet un défi considérable. Selon le dernier baromètre de l’Observatoire Cegos, publié fin 2022, plus d’un salarié français sur deux dit avoir déjà été victime d’au moins une forme de discrimination. Interrogés sur la cause, 18 % des répondants de l’enquête mentionnent l’apparence physique et l’âge, 15 % le sexe et 13 % l’état de santé.

 

Plus inquiétant, la même enquête montre que, pour 21 % des managers seulement, les actions mises en place par leur organisation (information, formation, ressources humaines, etc.) sont utiles pour gérer les situations sensibles. « La marge de progrès est donc réelle… », conclut le rapport.

Rationalités concurrentes

Comme nous le montrons dans nos travaux récents sur le fait religieux en entreprise, le manager est aujourd’hui généralement confronté à un environnement empreint de « soft law » non contraignante, le positionnant en producteur de norme quasi permanent. Autrement dit, le manager se retrouve souvent seul au moment de trancher et sa décision tend à constituer une jurisprudence implicite lorsqu’une même situation se représente.

Sur les questions de diversité, adopter cette perspective permet de comprendre que le manager souffre d’un inconfort important lorsqu’il doit jouer son rôle d’arbitrage quasi juridictionnel car il fait face à de multiples rationalités concurrentes. Pour éclairer cette problématique, plusieurs travaux fondateurs mettaient en avant, dès les années 1970, les notions de cohabitation des normes, de juxtaposition et de domination des unes sur les autres, ainsi que la légitimation des normes en contexte interculturel.

Hugo Gaillard : quand le manager produit la norme et devient… juge (Xerfi canal, janvier 2023)


Dans le cas du manager, il est celui qui doit appliquer une norme souvent descendante, venue de sa hiérarchie, tout en prenant compte la norme de l’ensemble de son organisation, la loi ou encore les réactions attendues des membres de son équipe, eux-mêmes porteurs de rationalités parfois divergentes ou contradictoires.

« Est-ce bien notre rôle ? »

Dans la lutte contre les discriminations, la responsabilité qui pèse sur les épaules managériales est donc très forte. Des impératifs sociaux de justice, d’égalité et de respect des droits fondamentaux, c’est-à-dire politiques, s’ajoutent aux objectifs de performance économique habituels. Or, comme nous avons pu le constater dans nos recherches, cette nouvelle dimension de l’activité n’est pas toujours bien acceptée par les managers. Un responsable d’équipe dans le secteur automobile s’interrogeait ainsi :

« L’entreprise doit-elle faire de la politique, est-ce bien notre rôle ? »

Un responsable opérationnel du secteur de la grande distribution reconnaissait, lui, ses limites :

« J’ai besoin d’être aidé et soutenu, je n’ai pas les qualifications requises. Je suis une personne de terrain. »

Face à ces difficultés, il est donc essentiel de considérer des stratégies concrètes pour favoriser l’intégration des groupes minoritaires en épaulant les managers dans leur rôle d’arbitre et de producteurs de normes.

Démarches proactives

Plusieurs solutions peuvent être mises en œuvre par les entreprises pour conforter l’action managériale qui va intégrer ces démarches à sa dynamique d’arbitrage. Un premier pas est d’impliquer les groupes minoritaires dans la gouvernance de l’entreprise. Par exemple, Coca-Cola a créé des groupes de travail internes dédiés à la diversité, où les employés issus de groupes minoritaires participent aux processus décisionnels clés de l’entreprise. En France, plusieurs lois récentes concernent par exemple spécifiquement la place des femmes dans la gouvernance (Loi Rixain), où elles sont encore assez largement minoritaires.

De nombreuses organisations choisissent également de créer des structures formelles au sein des entreprises. Dans cette perspective, le géant du conseil Accenture a créé un laboratoire d’innovation sur la diversité et l’inclusion pour développer et tester des solutions novatrices, et de nombreuses grandes entreprises déploient des services ou des directions de la diversité et de l’inclusion.

Ces modes de gouvernance nouveaux et ces structures formelles permettent de mieux mesurer et suivre le phénomène minoritaire. Microsoft, par exemple, promeut de nombreuses enquêtes pour collecter les retours d’expérience et les suggestions des employés sur les enjeux de diversité et d’inclusion. En France, des index diversité (à l’instar de celui sur l’égalité professionnelle) se développent, y compris un très récent lancé par le ministère du Travail.

Pour ce qui est des personnes LGBTQ+, ce sont des associations de praticiens qui ont par exemple développé un kit à destination des décideurs.En adoptant ces approches et s’appuyant sur de tels dispositifs et pratiques, les entreprises peuvent ainsi mieux comprendre les relations entre les individus, les groupes minoritaires et les institutions, tout en promouvant une culture d’inclusion et de diversité.

Il est en effet impératif que les organisations assument de répondre à des enjeux politiques sur l’inclusion de tous les groupes. De telles démarches proactives apparaissent bénéfiques pour les équipes comme pour les managers. Elles permettent d’éviter des frictions trop grandes, en gagnant en compréhension mutuelle par la pratique du compromis.

 

Auteurs :
Hugo Gaillard - Enseignant-chercheur en sciences de gestion à Le Mans Université | Laboratoire ARGUMans
Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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Passer au tableau : comment faire de ce rituel scolaire un moyen de réguler ses émotions ?

« C’est à qui le tour de passer au tableau ! », « Viens au tableau nous dire tout ce que tu racontes à ton camarade ! » ou encore « Qui souhaite venir au tableau ? »… Quels sont les élèves qui n’ont jamais entendu ce type d’exhortation au cours de leur scolarité ?

En France, l’installation de tableaux dans les classes est finalement assez récente, puisqu’elle date de l’instruction obligatoire chère à Jules Ferry (1882). Toutes les classes sont aujourd’hui dotées de cet artefact noir, blanc ou numérique. Il devient alors un support de transmission pour l’enseignant mais également une occasion d’expression – le plus souvent imposée – pour les élèves, qui sont invités à venir y résoudre des exercices, réciter des leçons, recopier des mots…

Rien d’étonnant donc à ce que ce rituel, pensé par l’institution comme l’occasion d’évaluer ou d’exposer une connaissance face aux autres, ait et continue à être vécu par certains élèves « comme une sorte de passage à tabac », participant au processus de harcèlement scolaire dont on connaît désormais les funestes conséquences. Les humiliations subies lorsque le corps est mis en scène, lorsqu’il est exposé aux moqueries, aux remarques déplacées des élèves et parfois des enseignants peuvent participer du harcèlement comme l’expliquait Kilian Vaysse, de l’Association contre les discriminations et le harcèlement, lors du colloque Enfant demain.

Qui n’a en effet pas souhaité disparaître six pieds sous terre lorsqu’il se retrouve debout au tableau, face à plus d’une vingtaine de paires d’yeux qui le déshabillent littéralement – notamment quand il ne maîtrise pas totalement sa leçon. Qui n’a jamais vécu cette situation ? Et finalement que révèle ce temps de passage au tableau : la maitrise d’une connaissance (enseignée à l’école) ou bien une compétence émotionnelle (moins enseignée à l’école) à restituer une connaissance ?

Favoriser la coopération entre élèves

Tout bien considéré, si la classe et l’école en général bouillonnent d’émotions, celles-ci font peu l’objet d’une réelle réflexion didactique. Tout se passe comme si ces émotions, les siennes et celles des autres, ne relevaient pas du périmètre de l’école. Émile Durkheim, référence majeure du projet de l’école républicaine, ne préconisait-il pas d’arracher l’enfant à la famille jugée émotionnellement trop toxique au prétexte que « la morale qui y est pratiquée y est surtout affective. L’idée abstraite du devoir y joue un moindre rôle que la sympathie, que les mouvements spontanés du cœur. »

Pourtant, nombreux sont les travaux montrant l’intérêt de considérer les émotions. Leur prise en compte se traduit en effet par un bien-être subjectif plus marqué et à une amélioration des performances scolaires. Mais encore faut-il leur ouvrir la porte de la classe, et plus largement celle de l’école, pour que les élèves les apprivoisent et en fassent des compagnes plutôt que d’en être esclave.

C’est précisément ce à quoi nous nous sommes attachés avec les enseignants d’écoles primaire rencontrés dans le cadre d’une recherche-action. Concrètement, il s’agissait de transformer l’exercice du passage au tableau en un temps d’éducation aux compétences socio-émotionnelles. Pour faire de cet exercice souvent individuel, angoissant, un moment de construction de soi, d’approvisionnement de ses émotions et d’apprentissage optimal, les enseignants ont, entre autres, expérimenté la récitation à plusieurs voix.

Par groupe de 3 ou 4, les élèves sont invités à réciter au tableau une poésie préalablement divisée par leurs soins en trois ou quatre parties. L’un d’entre eux entame la récitation et s’arrête soit lorsqu’il a terminé sa partie, lorsqu’il se sent en difficulté (une hésitation, un trou de mémoire, une perturbation liée au regard des élèves auditeurs…), ou bien quand il éprouve l’envie de passer le relais à l’un de ses camarades. Le deuxième, attentif à la situation (phrasé, mimiques, mouvement du corps…) prend alors la suite de la récitation avant de lui-même passer la main à un autre camarade.

L’enseignant propose plusieurs passages de façon à ce que chaque élève ait récité le texte dans son intégralité. À partir de ce design pédagogique, de très nombreuses variantes ont été proposées : récitation seule avec désignation d’un joker-souffleur avec ou sans contrainte d’intervention, libre choix de la répartition du texte, choix du lieu de récitation (à sa place, à côté de l’enseignant…), etc.

Apprendre à se mettre en scène

Le scénario pédagogique mis en œuvre dans cette recherche-action, permet, d’une part, de réduire le stress, préjudiciable aux apprentissages et, d’autre part, de libérer rapidement la participation des élèves et favorise leur entrée dans la tâche proposée.

Très vite, les élèves apprennent à s’organiser collectivement et s’inscrivent dans un processus de résonance nécessaire à une coopération sans fard. Aux dires des enseignants, grâce à cet exercice collectif, ils ont moins d’appréhension dans leur prise de parole et sont plus attentifs à celle des autres. Au-delà d’un simple entraînement à la mémorisation, ils s’expriment désormais à l’oral avec plus d’aisance et – point essentiel – en tenant compte d’autrui.


Ainsi pensé et expérimenté régulièrement, « le rituel du passage au tableau » prend une tout autre tournure pour les élèves. De situation stressante, parfois terrifiante, il devient un temps de jeu, de mise en scène de soi plus confiante, un temps de développement de l’empathie envers ses camarades, de récitation et de développement des compétences socio-émotionnelles utiles tout au long de la vie pour naviguer sans heurts dans les mondes sociaux.

Parce que la vie sociale est souvent l’occasion de se mettre en scène sous le regard d’autrui dans le cadre d’une réunion de travail, d’un exposé, d’un événement familial ou amical… apprendre à ressentir, identifier et apprivoiser ses propres émotions et celles des autres devrait également faire partie des missions de l’école.

 

Auteur :
Omar Zanna - Enseignant-chercheur en sociologie | Centre de Recherche en Éducation de Nantes (CREN) | Le Mans Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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Ramadan dans le football : une gestion singulière du fait religieux au travail ?


Le ramadan qui s’achève ce 21 avril aura eu son lot de polémiques dans le monde du football professionnel. Fallait-il par exemple accorder des pauses pour permettre aux joueurs pratiquants de s’hydrater ?

Dans un rappel à la règle aux arbitres, la Fédération française de football (FFF) a précisé que l’arrêt des matchs pour ce motif – qui n’a pas été explicitement demandé par les joueurs – n’était pas acceptable, en vertu de la neutralité du football et de la volonté de maintenir sport et religion à distance.

Ce courriel a par exemple suscité l’étonnement du défenseur international Lucas Digne qui indiquait dans une story Instagram :

« 2023 on peut arrêter un match 20 minutes pour des décisions mais pas 1 minute pour boire de l’eau »

 

En Angleterre, où il évolue, un choix différent a été posé. Que les règles soient souples ou plus strictes, les joueurs choisissent parfois délibérément de botter le ballon en touche pour permettre aux musulmans pratiquants, souvent peu nombreux, de rompre leur jeûne sur le bord du terrain sans interrompre le jeu. Le gardien de la Tunisie a, lui, simulé un malaise en plein match pour cela.

Plus encore, récemment, l’entraîneur du FC Nantes a écarté un joueur qui observait le ramadan un jour de match, estimant avoir posé cette règle pour protéger à la fois sa santé et ses performances, et donc celles de l’équipe. En face, certains mettent en avant les performances exceptionnelles de joueurs comme Karim Benzema qui affirment pratiquer le jeûne. Ils seraient des exemples de l’absence d’effets négatifs sur le niveau de jeu, voire d’effets positifs.

Les accusations de racisme lancées contre Christophe Galtier, l’entraîneur du Paris Saint-Germain, l’an passé à Nice, par l’ancien directeur sportif azuréen Julien Fournier, s’y sont mêlées également. Ce cas montre à quel point la question de la gestion du fait religieux au travail est liée à celle de la liberté de culte mais surtout à la lutte contre les discriminations, ce qui rend le sujet très sensible.

Pour autant, du point de vue des chercheurs sur la gestion de l’expression religieuse au travail, ces différents cas relayés dans la presse demeurent en fait assez classiques.

Le fait religieux au travail : une régulation généralement apaisée

Le fait religieux au travail renvoie aux manifestations de la foi des personnes dans leur contexte professionnel. Il peut s’agir de prières sur le lieu de travail, de port d’un signe religieux ou encore de demandes d’aménagement horaires ou d’absence pour pratiquer. Certains éléments sont plus diffus car il n’est pas explicitement fait référence à leur caractère religieux, mais ils peuvent tout de même être identifiés comme tels par d’autres acteurs.

Factuellement, le fait religieux au travail est en général peu conflictuel, et se règle le plus souvent avec l’intervention d’un management de proximité. Celui-ci peut s’appuyer sur une posture plus ou moins définie et mise en œuvre dans l’organisation. La gestion s’effectue souvent à l’échelle individuelle et ne vise pas à transgresser les règles en place dans les organisations. Seule une minorité de faits le font et reçoivent une réponse rapide et ferme de la hiérarchie.

Certaines entreprises posent ainsi le choix d’encadrer plus ou moins explicitement l’expression religieuse dans le contexte du travail sur la base de critères définis par le législateur et la jurisprudence (sécurité, hygiène, intérêt commercial, etc.). Elles peuvent, pour cela, utiliser le règlement intérieur ou des guides. Toutefois, en vertu du principe de laïcité, ce qui prévaut en dehors des missions de service public est bien la liberté de conscience, toujours accompagnée de la liberté de culte.

Du religieux dans le foot professionnel : rien de neuf !

Les manifestations de la foi des joueurs de football dans le contexte de leur travail ne sont pas des sujets neufs. Depuis de nombreuses années, y compris dans le Championnat de France, les équipes sont multiculturelles, pluriconfessionnelles, et tout simplement très diverses. Les questions d’identité ne sauraient rester à la porte de l’entreprise, même lorsqu’elle prend la forme d’un terrain d’herbe verte et que des milliers de personnes paient pour regarder ses salariés travailler.

Cela est d’autant plus vrai que les joueurs ont toutes les caractéristiques de ce que l’on appelle des « hauts performants », ou encore des « talents ». Cela leur donne un pouvoir de négociation assez fort et réduit les asymétries individu-organisation. De nombreux joueurs célèbrent ainsi leurs buts en faisant référence à leurs croyances, ou en louant directement le dieu qu’ils prient, par exemple en levant leurs index vers le ciel.

Certains joueurs ont aussi pour habitude de se prosterner après un but, individuellement ou collectivement, en signe d’adoration, comme l’attaquant star de Liverpool Mohamed Salah. Il existe même des médias sportifs qui créent des équipes types par religion. Il s’agit bien ici de fait religieux au travail.

 

Plus encore, certains footballeurs ont toujours indiqué que leur foi était une ressource pour la motivation et l’engagement. Le joueur français Olivier Giroud évoque fréquemment sa foi chrétienne évangélique comme un levier d’apaisement et de patience lorsque les résultats sportifs ne sont pas au rendez-vous. Il en a même fait un livre. On a enfin pu entendre parler de « dopage par la religion » dans le milieu du football.

Un phénomène pourtant complexe

Les polémiques qui ont traversé le monde du football ces derniers temps ne sont pas sans rappeler les questions que se posent les DRH pour les métiers où la fatigue physique et psychologique expose potentiellement les travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions. Dans certains clubs, y compris en France, la gestion du ramadan se fait en lien avec le joueur, en adaptant le régime et les entraînements.

Différents cas d’études rappellent quelques éléments bien connus en gestion du fait religieux au travail. D’abord, qu’il est important de définir une règle, de la communiquer et de garantir son application, puis de l’assumer. Sans juger le contenu de la règle, la FFF a, à ce titre, fait un choix et est en mesure de le justifier, que l’on soit ou non en accord avec celui-ci.

Ensuite, la gestion des comportements religieux au travail pose la question de l’articulation entre les règles communes et les règles individuelles. Arrêter le jeu pour tous, par exemple, change les règles du jeu communes au profit d’une règle religieuse individuelle. Être tolérant sur le temps de remise en jeu après une sortie de balle pour que les joueurs qui le veulent puissent rompre leur jeûne et s’hydrater maintient la règle commune mais montre la volonté collective de comprendre les particularismes, de leur donner une place mais pas la priorité.

Exclure du groupe un salarié qui jeûne, même en l’affichant publiquement, peut paraître dissonant par rapport à d’autres équipes et contextes qui adaptent les pratiques des staffs techniques ou les plans alimentaires aux contraintes du joueur. Des exemptions de participation aux doubles entraînements ont pu être décrétées aussi. D’un côté, l’identité individuelle permet de s’affranchir d’une règle collective, de l’autre les conditions de travail s’y adaptent. Deux accommodements qui ne sont pas de même nature.

Dans le football, comme ailleurs, la gestion du fait religieux au travail et sa gestion, soulèvent des problématiques de maintien de l’équité entre toutes les personnes, qu’elles soient ou non croyantes ou pratiquantes, de gestion des irréversibilités que peuvent générer les accommodements plus ou moins raisonnables et plus globalement, de respect des croyances individuelles et de leur accompagnement tant que celles-ci ne contreviennent pas aux règles de fonctionnement collectif et à la finalité de l’organisation considérée.

 

Auteurs :
Hugo Gaillard - Enseignant-chercheur en sciences de gestion à Le Mans Université | Laboratoire ARGUMans
Lionel Honoré - Professeur des Universités, IAE de Brest, Université de Bretagne Occidentale, LEGO

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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Réforme des retraites : des craintes pour l’emploi des seniors à nuancer

Chaque réforme ou tentative de réforme des retraites amène son lot d'inquiétude quant au chômage, photo ici d'une manifestation de décembre 2019. Jeanne Menjoulet / Flickr, CC BY-SA

 

Lors de son élection en mai 1981, le président François Mitterrand proposait aux Français de partir en retraite à taux plein dès 60 ans (contre 65 auparavant), en n’ayant cotisé que 37,5 années. Pour les jeunes qui avaient alors la vingtaine, « l’acquis social » semblait crédible. Cette génération arrive aujourd’hui à l’âge de la retraite et sera concernée par les nouvelles conditions proposées par le président Emmanuel Macron et le gouvernement de la Première ministre Élisabeth Borne. Un certain « réalisme » a succédé au « rêve de 81 ».

Ceux nés en 1963 et ayant commencé à travailler avant 23 ans seraient partis cette année en retraite si rien n’avait changé depuis Mitterrand. Pour eux, la réforme mise en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy a décalé à 62 ans l’âge légal de départ puis la réforme Touraine est venue augmenter leur durée de cotisation à 42 ans, durée déjà relevée en 1993, 2003 et 2012. La réforme Touraine visait 43 ans pour tous à partir de 2035 mais le projet de loi actuel ramènerait l’échéance à 2027.

Avec l’application progressive de la réforme actuellement en discussion, ils ne pourront quitter la vie active qu’en 2026, âgés de 63 ans et en ayant cotisé au moins 43 années. Et encore, cela ne vaudrait que pour ceux ayant commencé à travailler avant 20 ans. Pour les autres, nés en 1963 mais qui auraient rejoint le marché du travail entre 21 et 23 ans, ce n’est qu’entre 2027 et 2029 qu’ils atteindront le nombre minimal d’annuités pour avoir le taux plein.


Une question d’anticipation

Les ajustements proposés par le gouvernement répondent à une tension très simple à mesurer et indépendante des précédentes réformes : en 1981, il y avait environ 3,03 personnes âgées de 20 à 59 ans pour une personne de 60 ans et plus ; aujourd’hui, ce chiffre n’est plus que de 1,8. Ce vieillissement de la population rend difficile la gestion d’un système basé sur la solidarité intergénérationnelle si le curseur actif/inactif se situe à 60 ans. Le ratio est en revanche de 2,7 si on le monte à 65 ans.

L’évolution démographique pèse naturellement sur les comptes. Sans les différentes réformes mises en place à partir de 1993, la part des ressources (PIB) consacrées aux retraites aurait été de 17 % en 2023 au lieu de 12,6 %. À l’horizon des 25 prochaines années, cela conduit tout de même à un déficit moyen de 0,6 % du PIB par année selon les projections établies par le Conseil d’orientation des retraites (COR).

Reculer l’âge de la retraite ne s’avère cependant pertinent que si les personnes qui auraient pu quitter la vie active se retrouvent en emploi et non au chômage. Remplacer des retraités par des chômeurs plutôt que par des salariés cotisants ne résoudrait pas l’équation budgétaire. Beaucoup s’inquiètent d’ailleurs, en France, du taux de chômage des seniors déjà plus élevé que la moyenne européenne.

Cette « peur » d’une perte d’employabilité des seniors semble en fait avoir partie liée à un « effet de bord ».

Avec une retraite à 60 ans comme norme sociale, salariés comme employeurs anticipent un départ dans les 5 ans pour une personne de 55 ans. Si la norme sociale devient 64 ans, cette personne de 55 ans peut encore rester dans la même entreprise presque dix ans. Or, dix ans, c’est la durée moyenne d’un contrat entre un employé et un employeur. Ce sont donc les croyances et les anticipations sur la durée d’une relation d’emploi qui motivent un investissement dans cette relation.

Avec un allongement de la durée des contrats de travail des seniors, induit par le recul de l’âge de départ en retraite, il est alors possible d’expliquer la hausse, à un âge donné, de la chance d’être en emploi, plutôt qu’au chômage, depuis que les réformes reculent l’âge de départ en retraite.


Évolutions parallèles

Avec un changement dans les paramètres d’âge et de durée de cotisation, l’effet de bord ne fait que se décaler. Il y a, de fait, toujours des gens « proches » de la retraite, quel que soit l’âge légal de départ. La situation « ni, ni », ni en emploi, ni en retraite, qui concerne les 60-62 ans aujourd’hui devrait ainsi concerner, avec la réforme en débat, les 62-64 ans. On peut présumer que cela contribuera mécaniquement à améliorer la situation des premiers.

L’évolution du taux d’emploi des 55-59 ans au gré des réformes donne un aperçu de ce phénomène. Cet indicateur statistique rapporte le nombre de personnes en emploi sur la population totale de la classe d’âge. Ici, ne pas être en emploi, c’est donc être au chômage ou en inactivité ce qui, sauf cas particulier, ne peut pas être la retraite.

 

 

En 1980, 76 % des hommes et 45 % des femmes âgés entre 55 et 59 sont en emploi. Après l’abaissement de l’âge de départ en retraite, ils ne sont plus que 60 % et 41 %, en 1991. Avec les réformes successives, ces taux se remettent à croître pour atteindre en 2021, 78 % et 73 %. On voit ainsi comment le taux d’emploi évolue lorsque l’on s’éloigne du « bord »

En outre, ce que nous montrent également ces statistiques est que la féminisation de la population active a été une aubaine pour contenir les déficits des régimes de retraite pendant de nombreuses années : les femmes ont fortement contribué à la hausse de l’emploi des seniors depuis 1993. L’écart de participation au marché du travail s’étant fortement réduit aujourd’hui, il est impossible de compter sur un nouvel accroissement du nombre des cotisants venant de la hausse de l’emploi des femmes.

 

Enfin, ces statistiques suggèrent également que la lenteur relative de l’évolution du taux d’emploi des hommes s’explique aussi par l’introduction, en 2003, du dispositif « carrières longues » permettant un départ anticipé pour ceux qui ont commencé à travailler tôt. Il concerne beaucoup plus les hommes, 30 % des flux d’entrée en retraite aujourd’hui, que des femmes, 13 %. Avec le projet actuellement en discussion, les femmes se trouveront moins exclues de ce dispositif du fait de la possible intégration des interruptions de carrière pour élever des enfants.

Ces évolutions historiques poussent également dans le sens d’un élément désiré par le gouvernement, un index senior qui obligerait les entreprises de plus de 300 salariés de donner des statistiques sur l’emploi des plus de 55 ans. Même si l’obligation serait purement déclarative, gageons que cet indice permettrait de diffuser dans la société l’idée que les seniors, à 55 ans, peuvent toujours avoir une utilité sociale par le travail.

 

Auteur :
François Langot, Enseignant-chercheur en économie à Le Mans Université, laboratoire GAINS et Directeur adjoint de l’Institut du Risque et de l’Assurance et chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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Système de santé : sortir de la « crise sans fin » n’est pas qu’une question de moyens

Le vendredi 6 janvier, le président de la République Emmanuel Macron a présenté, lors de ses vœux aux acteurs de la santé, plusieurs pistes pour tenter de sortir le système français « de ce jour de crise sans fin ». Des moyens supplémentaires, comme l’accélération du recrutement d’assistants médicaux afin de parvenir à 10 000 créations d’ici 2024 (contre 4 000 actuellement), viennent donc s’ajouter à ceux déjà actés lors de son premier quinquennat : 12 milliards d’euros par an pour l’accroissement des rémunérations des soignants et les 19 milliards d’investissements dans les hôpitaux.

En plus de ces moyens financiers supplémentaires, des moyens humains et organisationnels ont été débloqués : la fin du numerus clausus pour les étudiants en médecine depuis la rentrée 2021en attendant la réorganisation du travail à l’hôpital annoncée le 6 janvier.

Le matin des annonces du président de la République, l’économiste Thomas Piketty appelait à accroître drastiquement les moyens alloués à la santé. Il appelait ainsi sur France Inter à consacrer jusqu’à 30 % du PIB à la santé en finançant les dépenses supplémentaires par des hausses de taxes, ce qui le faisait alors envisager des prélèvements pouvant aller jusqu’à 70 % du PIB !

Une simple question d’argent ?

En 2021, la France consacrait 12,3 % de son PIB aux dépenses de santé, ce qui est approximativement la même chose qu’en Allemagne où la part est de 12,8 % (9,5 % en Italie, 11,9 % au Royaume-Uni et 17,8 % aux États-Unis). Le manque de moyens n’est donc pas « criant ». Cependant, si la France et l’Allemagne consacrent la même part de leurs ressources à la santé, l’utilisation de ces moyens peut être très différente : en contrôlant ainsi par le niveau des moyens, on peut alors identifier, en comparant la France à l’Allemagne, les changements d’organisation qui permettraient de mieux faire.

 

Avec près de 8 lits pour 1 000 habitants en Allemagne en 2020, la possibilité de bénéficier de soins hospitaliers est plus importante que dans un pays où il y a seulement 5,7 lits pour 1 000 habitants comme en France (il y a 3,2 lits pour 1 000 habitants en Italie, 2,3 au Royaume-Uni et 2,8 aux États-Unis). De plus, l’Allemagne investit davantage dans la « qualité » des soins. Le pays compte plus de médecins (4,5 pour 1 000 habitants contre 3,4 en France), mais également plus de personnel médical (12,1 infirmiers contre 11,3 pour 1 000 habitants). Cet écart en capital humain s’est creusé, en défaveur de la France, depuis 2000.

 

De plus, les médecins et infirmiers allemands sont mieux payés que leurs homologues français. Un médecin généraliste allemand gagne environ 4,4 fois le salaire moyen allemand, alors que son homologue français ne gagne que 3 fois le salaire moyen français. Un infirmier allemand gagne 1,1 fois le salaire moyen allemand alors que ce facteur n’est que de 0,9 en France.

Pour le patient, l’accès et la qualité des soins ne peuvent alors être que meilleurs outre-Rhin : chaque Allemand consulte davantage un médecin qu’un Français, il bénéficie de plus de radios, de scanners, de séjours plus longs en hôpital et de davantage d’innovations médicales.

Des inefficacités organisationnelles peuvent alors expliquer qu’à dépense égale dans la santé, il y ait moins de lits en France, moins de personnels soignants percevant de plus faibles rémunérations et moins d’innovations médicales. Nous allons en dégager trois, dans les domaines de la pharmacie, l’hôpital et la recherche médicale.

Le pharmacien peut redevenir un soignant

Il y a plus de pharmaciens de France qu’en Allemagne (1,03 contre 0,67 pour 1 000 habitants) et ces personnels de santé ont de fortes rémunérations sans pour autant effectuer de soins. Cette forte « force de vente française » en médicaments a conduit la part française des dépenses de santé consacrées aux produits pharmaceutiques à être supérieure à celle de l’Allemagne : avant 2014, elle a culminé à 18 % des dépenses de santé en France, alors qu’elle n’a jamais dépassé 15 % en Allemagne.

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Pour faire face à une offre qui ne permet pas à tous les patients d’être en contact avec un personnel de santé, les pharmaciens pourraient effectuer des tâches de prescriptions simples, et ainsi désengorger les médecins généralistes. Cette réallocation des tâches permettrait aux généralistes de se concentrer sur les cas qui nécessitent une expertise pointue. Ceci justifierait alors en partie l’augmentation des honoraires qu’ils demandent. Les pharmaciens contribueraient donc à la production de soins.

Reconcentrer les hôpitaux français

Si l’on se focalise sur l’hôpital, qui est aujourd’hui sous les projecteurs de l’actualité, la France y consacre davantage de moyens que l’Allemagne, avec 4,6 % de son PIB contre 3,6 % (deuxième rang en Europe après le Royaume-Uni). Mais ce qui caractérise la France, c’est son très grand nombre d’établissements hospitaliers : il y a 4,42 hôpitaux pour 100 000 habitants en France contre seulement 3,62 hôpitaux pour 100 000 habitants en Allemagne (il y en a 2,86 au Royaume-Uni, 1,80 en Italie et 1,86 aux États-Unis).

 

Comme la France a aussi un très grand nombre de lits d’hôpitaux (pour rappel, 6 lits pour 1 000 habitants), il y a donc un phénomène d’atomisation : le nombre moyen de lits en France par hôpital reste inférieur à la situation en Allemagne. Cette atomisation réduit la qualité des soins car celle-ci est fortement liée au volume de travail de ses agents : le niveau d’expertise croît fortement lorsque de multiples cas ont été traités par les équipes médicales d’un établissement. Les patients intègrent bien cela en demandant toujours à être traités par l’hôpital le mieux réputé.

Ainsi, une partie des moyens consacrés à l’hôpital n’améliore pas les soins. De plus, cette atomisation est très coûteuse car l’activité hospitalière se caractérise par des effets de seuil : quel que soit le volume de soins effectué par un hôpital, des moyens minimaux en équipements et en personnels sont exigés (coûts fixes de fonctionnement). Le saupoudrage des moyens sur une trop grande quantité de structures hospitalières conduit alors à payer plusieurs fois les mêmes coûts fixes, alors que dans certains hôpitaux, l’utilisation de ces équipements et des personnels reste trop faible pour garantir une bonne qualité du soin.

Enfin, cette multiplication des centres hospitaliers a conduit la part des dépenses de santé consacrée à l’administration du système de santé à être plus forte en France : elle était de 8 % dans les années 1990 et 7 % dans les années 2000 contre 5,5 % pendant ces 20 années en Allemagne.

 

Ceci doit conduire à transformer rapidement une partie des hôpitaux locaux de soins aigus en hôpitaux de proximité. Cela assurera une meilleure rationalité économique dans la gestion des moyens octroyés aux hôpitaux (réduction de coûts fixes), satisfera davantage l’exigence de qualité des soins hospitaliers aigus, tout en maintenant d’un tissu local de prise en charge de soins de premiers recours.

Enfin, il faut remarquer que le très grand nombre d’hôpitaux sur notre territoire ne garantit pas à la population un meilleur soin en cas d’accident : le taux de mortalité dans les 30 jours après une admission pour un infarctus est 7,05 % en France contre 5,5 % en Allemagne (6,6 % aux États-Unis et 7,25 % en Italie). La santé et donc l’hôpital sont des « biens publics », pas des outils de développement local d’un territoire !

Réallouer les moyens de la recherche

L’épisode du Covid-19 a alerté le grand public sur les déficiences de la recherche médicale française. L’Allemagne, avec BioNTech et l’université de Mayence, le Royaume-Uni, avec AstraZeneca et l’université d’Oxford ainsi que les États-Unis avec Moderna et les fonds engagés par Pfizer pour soutenir BioNTech sont les pays qui ont mis au point un vaccin.

Est-ce une surprise ? La qualité de la recherche-développement (R&D) des pays est particulièrement mise à l’épreuve lorsqu’il s’agit de trouver une solution à un nouveau problème : des moyens doivent être réalloués pour « créer » ces nouveaux produits, et ces moyens doivent être mis entre des mains qui ont les très fortes compétences nécessaires pour produire un bien de niveau international.

Or, le manque de moyen de la R&D française est connu. Il se traduit par un plus faible nombre de brevets déposés chaque année (approximativement 110 brevets par million d’habitants en France contre 350 en Allemagne). Mais, si l’on fait abstraction du niveau des moyens, la France se caractérise par une plus faible part de ces moyens en R&D consacrée au domaine médical et pharmaceutique : cette part est trois fois plus grande en Allemagne (et deux fois plus grande aux États-Unis).

 

Là encore, ce n’est pas forcément le « manque de moyens » qui explique les mauvais résultats de la France, mais davantage leurs mauvaises utilisations. Ainsi, une étude menée par le Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en 2021 analysait finement le retard français dans le domaine de recherche médicale. Premièrement, les moyens accordés à la R&D en santé sont faibles et décroissent : les crédits publics en R&D pour la santé sont passés de 3,5 milliards de dollars en 2011 à 2,5 en 2018 (soit -28,5 %), alors que pendant la même période ils augmentaient de 11 % en Allemagne (+16 % au Royaume-Uni).

Deuxièmement, les financements ne sont pas utilisés dans des recherches ayant les standards scientifiques internationaux. Plus précisément, sur 19 287 essais cliniques menés en France, seulement 5910 étaient des essais randomisés (outils statistiques reconnus en sciences médicales comme les meilleurs moyens d’évaluer les effets bénéfiques et néfastes d’une thérapie), soit 30 %, alors que 75 % l’étaient en Allemagne (68 % au Royaume-Uni). Il faut aussi souligner que 75 % des essais non randomisés français étaient financés par la recherche publique (seulement 20 % en Allemagne, et 25 % au Royaume-Uni).

Si une grande partie des fonds publics de R&D en santé sont alloués à des expériences qui n’auront jamais aucune reconnaissance internationale, car utilisant des méthodes dépassées, alors la R&D en santé française ne sera jamais en position de leadership. Il n’est donc pas surprenant que la France n’ait pas pu trouver, sur un même laps de temps, les protocoles de vaccination trouvés en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.

Réduire les inégalités de santé

Améliorer l’utilisation des compétences de personnels de santé, rationaliser la gestion de nos hôpitaux en évitant l’atomisation, et enfin aligner la recherche en santé française sur les standards internationaux constituent des priorités pour faire progresser notre système de soins.

Les changements nécessaires pour y parvenir ne doivent pas être freinés par la croyance que ces réformes augmenteraient les inégalités de santé : avec un système différent en Allemagne, la probabilité d’être en bonne santé pour une personne parmi les 25 % les plus riches est 1,07 fois plus grande que pour une personne parmi les 25 % les plus pauvres, alors que ce chiffre est de 1,08 en France, comme nous l’avons montré dans une recherche récente.

En nous réformant, nous pourrons donc également réduire les inégalités de santé !

 

Auteur :
François Langot, Enseignant-chercheur en économie à Le Mans Université, laboratoire GAINS et Directeur adjoint de l’Institut du Risque et de l’Assurance et chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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