1, 2, 3, soleil pour la génération Erasmus ?

Regards de chercheurs

1, 2, 3, soleil pour la génération Erasmus ? Nos ressources à l’heure de la pandémie – une perspective franco-allemande

Par Anne Baillot, enseignante-chercheure en études germaniques à Le Mans Université, laboratoire Langues, Littératures, Linguistique (3.L.A.M.).
Elle est également coordinatrice Erasmus du département d’allemand, et responsable française du diplôme de licence binational « Études Européennes » de Le Mans Université.

Chaque année, des centaines de milliers d’étudiant.e.s traversent l’Europe pour aller poursuivre leurs études ou effectuer un stage en mobilité. On parle de « génération Erasmus » pour qualifier les bénéficiaires de ce dispositif depuis plusieurs (dizaines) d’années, et il est vrai que cette mobilité européenne est devenue un élément-clef de la vie universitaire, un élément qui marque durablement les parcours de vie de celles et ceux qui en bénéficient.



Cette mobilité est rendue possible à la fois par la création d’un espace européen d’enseignement supérieur – mis en place par le processus de Bologne, initié en 1998 – régi par un système d’équivalences entre les enseignements des différentes universités européennes affiliées, et par la création d’une agence de moyens dédiée en 1997, le programme Erasmus, qui permet à des universités d’« échanger » étudiant.e.s et enseignant.e.s pour une durée fixée. En harmonisant les enseignements au niveau européen en trois niveaux équivalents (licence, master, doctorat), en accordant les violons de tous les pays sur le nombre de « crédits d’enseignement » à valider chaque semestre (30 points dans le « European Credit Transfer System »), le processus de Bologne a certes gommé des spécificités nationales, et uniformisé certains aspects de la vie universitaire. Mais il a également permis d’élaborer un dispositif qui offre aux étudiant.e.s l’opportunité d’évoluer en Europe : ils et elles peuvent partir passer un semestre ou deux, ou effectuer un stage à l’étranger, ou bien encore s’engager dans un diplôme binational, tout en restant dans la continuité de leur formation.

 

Or, la pandémie met à mal un dispositif qui s’appuie par définition sur la mobilité – elle nous pousse à la réinvestir différemment, en renforçant les liens au sein des établissements, et entre établissements.

 

Car même si les étudiant.e.s ont souvent l’impression de partir en Erasmus « seul.e.s » à l’aventure, c’est tout un réseau de responsables administratifs et pédagogiques qui les accompagne dans l’ombre, un réseau qui s’est mobilisé dès les débuts de la pandémie, et qui restera certainement mobilisé encore pendant de longs mois.

 

Dispositifs dédiés

Prise de contact systématique avec les étudiant.e.s en mobilité entrante ou sortante par le service des relations internationales, relais pris par les coordinateurs et coordinatrices Erasmus de chaque département, dispositifs dédiés pour les stages à l’international, mise à disposition d’un fonds d’indemnisation pour les dépenses déjà engagées et non remboursables… ne plus pouvoir nous reposer sur le fonctionnement normal d’Erasmus nous a forcé.e.s, à tous les échelons de l’université, à en démonter chacun des mécanismes pour voir comment pallier l’impossibilité de se déplacer qui grippe tout le système, tout en nous assurant de la sécurité des jeunes en déplacement sous l’égide de l’établissement.

Mais les mesures que nous prenons chez nous doivent également prendre en compte celles qui sont prises dans nos universités partenaires. Il est impossible d’agir seul : les établissements d’enseignement supérieur européens sont tellement étroitement entrelacés que la prise de décision au niveau national de chaque pays, de chaque région, de chaque établissement, impacte inévitablement les autres en réaction. Ce n’est qu’au prix d’une coordination à l’échelle européenne qui articule le local et l’international qu’il sera possible de maintenir le fil de notre travail de formateurs/trices auprès de nos étudiants, et le réseau de soutien pédagogique et administratif qui le sous-tend.

 

Les divergences sont notables même entre des pays a priori proches. En Allemagne, la gestion de la pandémie est bien différente de celle de la France au niveau politique. L’autonomie des Länder a conduit à la mise en place de mesures différenciées selon les zones du pays. Mais pour autant, des éléments d’action coordonnés, par exemple pour le milieu scientifique (avec la prolongation des contrats de recherche par les agences de moyens ou l’interdiction de grandes conférences jusqu’au 30 août 2020) garantissent une certaine homogénéité d’action. L’équilibre entre ce qui est laissé à la discrétion des établissements ou des Länder et ce qui est prescrit au niveau national s’est finalement trouvé plus vite en Allemagne qu’en France. Cette inégalité dans la marge de manœuvre de part et d’autre rend évidemment précaires les tentatives d’harmonisation entre partenaires universitaires.

 

Le Mans et Paderborn, une coopération universitaire

Au Mans, le partenariat avec Paderborn bénéficie de lien personnels forts en plus de l’histoire commune d’une amitié vieille de plus de mille ans. En dépit de cette relation privilégiée, la coordination avec l’équipe allemande avec laquelle je pilote un diplôme binational requiert une inventivité et une flexibilité nouvelles.

Si les semestres qui composent une année universitaire en France sont très resserrés (en gros, septembre-janvier et janvier-avril), laissant les mois de mai et juin pour la première, puis la deuxième session d’examens, le calendrier allemand est réparti différemment. Le premier semestre commence début ou mi-octobre et court jusque mi-février, il est suivi de deux mois de pause, et le second semestre court de mi-avril à mi ou fin juillet. Autrement dit, tandis que nous sortons aujourd’hui d’un mois particulièrement sportif où il a fallu boucler l’enseignement du second semestre sans présentiel, nos collègues allemand.e.s ont eu ce mois pour se préparer à ce qui sera probablement tout un semestre sans mettre les pieds dans une salle de cours.

Par universités, par Land, par discipline, ce mois aura servi à mettre en place des stratégies et des ressources collectives, des échanges d’expérience, bref, à rendre vivante une solidarité pédagogique qui nous a manqué en France. En témoignent par exemple les ressources mises à disposition pour les études germaniques .

 

Les étudiant.e.s en Erasmus à Paderborn y étaient pour l’année lorsque la pandémie s’est déclarée, déjà installé.e.s là-bas depuis octobre. Cette situation ne les a pas surpris.e.s à un moment où tout était à découvrir dans leur pays de mobilité comme cela a pu être le cas d’étudiant.e.s débarquant en février-mars pour un semestre Erasmus en Espagne, en Italie ou en Grande-Bretagne. En revanche, en cette période d’intersemestre, certain.e.s étaient en France, certain.e.s en Allemagne. Ils et elles ont maintenant commencé les cours en distantiel, certain.e.s depuis Paderborn, d’autres depuis Le Mans ou la Bretagne. D’autres étudiant.e.s du parcours devaient partir en stage en Allemagne et s’en réjouissaient depuis de longs mois : il a fallu remettre les stages sine die. Pour la rentrée prochaine, l’ensemble des Länder a d’ores et déjà décalé la reprise au 1er novembre notamment pour permettre de finaliser les inscriptions en première année d’université à l’automne, tandis qu’aucune disposition générale n’a encore été prise en France.

Les questions qui se posent sont nombreuses. Les étudiant.e.s Erasmus actuellement à Paderborn seront inévitablement noté.e.s sur du distantiel au second semestre, alors que nous n’avons pas eu le droit de noter nos étudiant.e.s sur du distantiel en France. Alors qu’il serait logique que les mobilités soient largement remises en question à la rentrée prochaine, comment allons-nous permettre aux étudiant.e.s en double diplôme de valider leurs semestres obligatoires à l’étranger ? Au sein de ces doubles diplômes, comment organiser la cohérence pédagogique entre nos partenaires et nous avec le passage plus ou moins maîtrisé à l’enseignement à distance ?

Bref, comment faire pour que cet espace européen de l’enseignement supérieur que nous prenions pour argent comptant, comme un facilitateur, nous aide plus qu’il ne nous gêne, nous rapproche plus qu’il ne nous éloigne ?



Préparer 2020/2021 ensemble

Force est d’admettre qu’on ne peut s’empêcher de regarder avec un certaine envie du côté de l’Allemagne, où la pandémie n’a pas pris les proportions dramatiques qu’elle a prises en France. Est-ce l’approche rationnelle et scientifique de la pandémie (dont témoigne par exemple cette vidéo  ) qui a permis cette gestion plus sereine et in fine plus efficace, est-ce une approche sobre des débats scientifiques publics sur les différents scénarios de sortie, relayée notamment par la presse nationale et régionale, est-ce la vision politique à long terme qui agit sur le court terme (déblocage par exemple d’un fonds d’aide aux indépendants leur permettant de toucher 5000 euros, 9000 pour les entreprises, effectif en l’espace de 3 jours) ? Ou tout simplement la meilleure préparation logistique à la pandémie (tests, équipements, hôpitaux, etc.), une distanciation sociale plus ancrée dans les mentalités au départ? De nombreux éléments peuvent expliquer les différences entre France et Allemagne. Ainsi, la presse allemande ne manque pas de fustiger le centralisme français (par exemple dans cet article de la FAZ).

Malgré cette disparité, il n’y a qu’ensemble que nous pourrons permettre à nos étudiant.e.s de continuer à préparer leur avenir, et il faut nous y mettre maintenant : non pas pour ce mois de mai, mais pour l’année prochaine. En 2020/2021, 8 étudiant.e.s français.e.s et 5 étudiant.e.s allemand.es du parcours binational « Études Européennes » valideront leur troisième année de licence en passant l’année à l’Université de Paderborn ; 4 étudiantes françaises et 6 étudiant.e.s allemand.e.s valideront leur deuxième année du cursus en passant l’année à l’Université du Mans. Reste à définir ce que voudra dire « à l’Université », et à repenser, peut-être, les modalités de cette mobilité dont nous avions un peu facilement oublié qu’elle n’allait pas de soi – envisager un « slow » Erasmus peut-être, où l’on se rendrait en train et pas en avion parce que le transport ferroviaire serait gratuit pour les étudiant.e.s, où le numérique viendrait en soutien pour éviter des déplacements superflus tout en permettant de mettre en place des dispositifs pédagogiques transversaux, où l’on intègrerait des modules de préparation à l’intégration d’un système universitaire différent (comme le fait déjà, par exemple, l’Université de Flensburg, dans le nord de l’Allemagne), où les échanges d’enseignant.e.s pourraient se faire sur un temps plus long sans impacter leur charge globale d’enseignement due... Est-ce dans ce sens qu’iront les « Universités européennes » ?

L’année 2020/2021 sera en tout cas, pour ces nouvelles structures dans la gouvernance de l’européanisation des formations, l’occasion de faire leurs preuves… tout autant que pour chacun.e des enseignant.e.s-chercheur.e.s, à son échelle.

 

Pour aller plus loin : voir le Replay de l'émission C dans l'air diffusée le 18/04/2020 sur le thème "Coronavirus : Allemagne, pourquoi sont-ils meilleurs ?"

 

Anne Baillot est professeure en études germaniques, coordinatrice Erasmus du département d’allemand et responsable française du diplôme de licence binational « Études Européennes » de Le Mans Université.
Il existe 185 cursus intégrés binationaux franco-allemands subventionnés et labellisés par l’agence de moyens « Université franco-allemande », dont deux entre les universités du Mans et de Paderborn.

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