La politique de santé publique à l’épreuve de la crise Covid 19

Regards de chercheur.e.s

La politique de santé publique à l’épreuve de la crise Covid 19

par Yannick Lucas, enseignant-chercheur en économie - gestion à Le Mans Université, laboratoire ARGUMans.

La crise du Covid-19 n’est pas encore derrière nous, mais la « première vague » du printemps 2020 nous permet de tirer quelques enseignements pour le devenir de notre système de santé.

 

Deux écueils doivent être évités lorsque l’on se lance dans cet exercice d’analyse. Tout d’abord regarder la crise comme la preuve de la justesse des prises de positions antérieures sans regarder en quoi, à l’inverse, elle les remet en cause. Ensuite, se préparer à la prochaine crise comme si elle allait être une simple répétition de la crise précédente.

 

En 1971, Abdel Omran[1] introduisait la notion de transition épidémiologique. Selon lui, le processus de modernisation se déroule dans toutes les sociétés en trois « âges » sanitaires qui voient le passage, sous l’influence du développement socio-économique, d’une structure de mortalité à dominante infectieuse à une structure de mortalité à dominante chronique et dégénérative.

La crise que nous connaissons est peut-être le début d’un quatrième âge sanitaire marqué à la fois par le développement de pandémies et par la prévalence forte des pathologies chroniques. La conjonction des deux phénomènes peut avoir des effets catastrophiques lorsque, comme avec le Covid 19, les pathologies chroniques rendent plus vulnérables à la pandémie. 86% des personnes décédées lors de la première vague étaient porteuses d’au moins une comorbidité[2].

 

 

A cela viennent s’ajouter les inégalités sociales. Les plus modestes étant les plus frappés par les pathologies chroniques et les plus atteints par la pandémie (conditions de logement, moindre possibilité de recours au télétravail…).
Cela ne fait qu’ajouter aux inégalités connues. En 2012-2016, parmi les 5 % les plus aisés, l'espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus modestes, soit 12,7 ans d'écart, cet écart étant de 8,3 ans pour les femmes[3]. Les déterminants sociaux cristallisent des inégalités en santé et montre que la santé, avant d’être une question de responsabilité individuelle, relève avant tout d’une responsabilité publique.

 

Ces évolutions amènent donc à repenser nos politiques de santé dont les capacités de résilience et d’adaptation doivent être améliorées. Cela suppose des mécanismes de financement viables sur le long terme et une gouvernance forte capable de piloter le système de manière efficiente. Les crises à venir demanderont en effet de pouvoir mobiliser dans des délais brefs des hommes, des équipements, du matériel dans des configurations inédites tout en continuant d’assurer le suivi de la santé d’une population vieillissante avec une augmentation des comorbidités.

La crise du Covid 19 aura des impacts majeurs sur le financement de notre système de protection sociale avec un déficit annoncé de 49 milliards d’euros en 2020 et de 35,7 milliards en 2021[4]. Cela devrait normalement impacter fortement notre capacité à agir pour de nombreuses années car le retour à l’équilibre des comptes sociaux qui semblait, encore récemment, être un objectif atteignable est maintenant hors de portée à horizon visible.
Paradoxalement cela peut faciliter certaines évolutions de notre système de protection sociale. En effet, des réformes importantes, à l’instar de la réforme Grand âge et autonomie, ont été repoussées depuis des années en l’absence de financements qui apparaissent aujourd’hui relativement modestes en regard des déficits annoncés.

 

Quelques sujets devront sans doute être traitées en priorité. Il s’agit tout d’abord de mieux structurer la médecine de ville qui souffre d’un déficit d’organisation. Pour reprendre l’expression prêtée à Henry Kissinger au sujet de l’Europe, on serait tenté de se demander « Médecine de ville, quel numéro de téléphone ? » tant il est apparu compliqué d’organiser la prise en charge des patients atteints du Covid en dehors de l’hôpital. Les liens entre la médecine de ville et l’hôpital et entre les hôpitaux privés et publics doivent également être renforcés et fluidifiés pour faciliter une utilisation optimale des ressources.
La mise en place accélérée des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) devrait améliorer la coordination des professionnels et leur participation aux missions d’intérêt général. De même, la généralisation des "services d'accès aux soins" (SAS) devrait permettre d’améliorer la collaboration entre les hôpitaux et la médecine de ville dans la prise en charge des soins non programmés.

 

 

Avant tout, cette crise appelle à repenser notre politique de santé publique et d’éducation à la santé : cette crise a montré à la fois l’efficacité des mesures de prévention et les dangers d’un « illettrisme sanitaire » propice à la diffusion de fausses informations et à la propagation des théories complotistes. Dans le même temps, la période récente a illustré combien les principes simples d’hygiène ou les mécanismes de base de transmission des maladies ne sont pas connus ou compris.

 

Les principes essentiels d’une politique de santé publique sont connus, ils ont été repris dans toutes les instances internationales et dans les plans santé qui se sont succédés depuis trente ans. Il s’agit maintenant de les mettre en œuvre.

 

La politique de santé publique doit reposer sur un premier postulat simple : « la santé dans toutes les politiques ». Éducation, logement, politique de la ville, environnement… partout, la santé doit être un élément clé des politiques publiques. Cela suppose également de développer une approche communautaire de la santé qui associe les citoyens à la définition et au pilotage des politiques afin d’en améliorer la pertinence et la recevabilité. Cela appelle également un pilotage décentralisé des politiques de santé publiques afin d’être plus proche des réalités de terrain.

 

Le deuxième postulat est que l’investissement dans la prévention est le moyen le plus efficient de diminuer la prévalence des maladies chroniques et de freiner la propagation des maladies contagieuses. Cette crise aura eu le mérite de mettre fin au vieux débat sur l’évaluation médico-économique des politiques de prévention tant elle a mis en évidence les coûts astronomiques d’un défaut de prévention.


En France, en 2018, la dépense de prévention santé est estimée à 1,8% de la dépense totale de santé. Une part bien inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE (2,8 %). En tête, le Canada et le Royaume-Uni consacrent respectivement 6 % et 5,1 % de leurs dépenses totales de santé à la prévention[7]. À ce faible montant, s’ajoutent l’absence de modèle d’évaluation financière et médicale, la fragmentation des acteurs, une absence de coordination des actions de prévention et donc une déperdition des moyens alloués à la prévention.

 

 

Enfin, l’éducation pour la santé doit permettre d’apporter à tous les âges de la vie des connaissances nouvelles et adaptées à chacun autour des éléments clés que sont l’alimentation, l’activité physique, le maintien du lien social et le contrôle des conduites addictives.

 

Les surréalistes auraient édité une affiche proclamant « Analphabètes, Apprenez à lire ! ». C’est trop souvent ce qui a été fait en matière d’éducation pour la santé avec l’utilisation d’un vocabulaire et de références sociales difficilement comprises. Il faut repenser les stratégies de communication en les adaptant aux différents publics à qui elles sont destinées ainsi qu’à leurs modes de communication.

 

Au-delà de ces problématiques liées à l’organisation du système de santé, cette crise est également l’occasion d’une réflexion sur notre contrat social. En effet, les personnes âgées ont été les plus gravement touchées par les conséquences sanitaires de la pandémie. A l’inverse, ce sont les jeunes qui ont été affectées par les mesures prises pour lutter contre cette dernière et particulièrement les mesures de confinement avec leurs conséquences sur le lien social, les conditions d’étude, ou l’accès à l’emploi. De plus, économiquement, les jeunes, et notamment ceux ne disposant que d’un emploi précaire ont également été très désavantagés alors que dans le même temps les revenus des retraités n’étaient pas impactés par la crise.
C’est un condensé de notre contrat social qui fait appel à la solidarité des plus jeunes pour aider les plus anciens alors que ce sont ces derniers qui bénéficient des revenus les plus importants. Les débats qui se sont tenus à bas bruit pendant la crise risquent de resurgir de manière plus présente dans les mois ou les années qui viennent.

 

Rien ne sera plus comme avant. Les traumatismes créés par cette crise qu’ils soient économiques, physiques ou psychologiques appellent des mesures fortes. Cela nécessitera du courage politique alors que nos concitoyens auront sans doute envie « d’oublier » et seront peut-être moins sensibles aux thématiques liées à la santé et que certains conservatismes se sentiront renforcés. Pour autant, il faudra agir sans tarder car comme le disait George Santayana, « ceux qui ne peuvent pas se souvenir du passé sont condamnés à le revivre ».

 

[1] Abdel R Omran (1971) - "The epidemiologic transition. A theory of the epidemiology of population change." in Milbank Memorial Fund Quarterly, volume 49, page 509.

[2] Santé Publique France, Point épidémiologique hebdomadaire du 29 mai 2020.

[3] INSEE Première, N°1687, Février 2018.

[4] Dépêche AFP 23/11/2020

[7] OCDE

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