Droit pénal en période de crise sanitaire

Regards de chercheur.e.s

De l’usage du Droit pénal en période de crise sanitaire

Par Jean-Marie Brigant, enseignant-chercheur en droit privé & sciences criminelles, Le Mans Université, laboratoire de droit THEMIS-UM (EA 4333).

 

De la délinquance ?

Si la délinquance est indissociable de toute vie en société, il faut admettre que celle-ci a été profondément (mais provisoirement) bouleversée par cette crise sanitaire. Les statistiques policières permettent d’apprécier quantitativement et qualitativement l’effet Covid 19 sur ce phénomène social qu’est la délinquance.

D’un point de vue quantitatif, l’analyse conjoncturelle des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie à la fin du mois de mars 2020 a révélé une baisse importante du volume de la délinquance (apparente). Selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, au cours du mois de mars 2020, les baisses sont de l’ordre de -45 % pour la majorité des indicateurs conjoncturels des crimes et délits enregistrés[1]. Cela s’explique naturellement par le fait que certaines formes de délinquance ne peuvent pas s’exercer dans le contexte du confinement (homicides, vols avec armes, cambriolage, vols de véhicule, destructions et dégradations volontaires, agressions sexuelles, trafic de stupéfiants). Toutefois, une telle interprétation suppose de faire preuve de prudence et de nuance, le confinement ayant fortement influencé les conditions du dépôt de plainte et certains effets n’étant visibles qu’avec un certain décalage dans le temps.

D’un point de vue quantitatif, si certaines formes de délinquance, en raison de leurs modes opératoires, ne peuvent s’exercer dans le cadre du confinement, d’autres en revanche se sont renforcées, à l’instar des violences conjugales et intrafamiliales.  Ainsi, « Au cours de la semaine du 20 au 26 avril 2020, le nombre de victimes de violences intrafamiliales au sein des coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus continue d’augmenter légèrement, passant de 2 300 à près de 2 500 victimes, soit 200 victimes enregistrées de plus que la semaine précédente »[2]. Par ailleurs, les périodes de crise sont également synonymes de nouvelles opportunités pour certaines formes de délinquance, à l’instar de l’escroquerie et des pratiques commerciales trompeuses (faux vendeurs de masques et de gel, médicaments miracles, cagnottes frauduleuses, faux ordres de virement, etc.).

 

Du Droit pénal ?

Faut-il s’étonner de l’utilisation du droit pénal pendant cette crise sanitaire ?  A dire vrai, la réponse ne peut qu’être négative, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il convient de rappeler que le droit pénal se présente comme la branche du droit qui organise par l’État la répression au nom de la société de certains comportements de nature à causer un trouble à l’ordre public. Or, en cette période de crise, l’ordre public exige non seulement l’observation des règles de conduite habituelles mais également à une discipline sociale et sanitaire plus stricte.

Ensuite, le droit pénal est couramment présenté comme un droit sanctionnateur : d’une certaine manière, il est le « Gendarme du droit » qui apporte une sanction plus énergique aux règles posées par d’autres branches du droit.  De manière légitime, les pouvoirs publics ont assorti de sanctions pénales (amende voire emprisonnement) le non-respect des règles de confinement. Au premier jour du confinement, gendarmes et policiers sur le terrain ont fait œuvre de pédagogie en rappelant la loi pénale.

Enfin,  le droit pénal a toujours rempli une fonction dissuasive : la menace d’une peine doit détourner du crime selon J. Bentham. Ce souci d’intimidation (collective et individuelle) n’a pas été oublié par le législateur pendant cette période de confinement. La très grande majorité des citoyens ont d’ailleurs respecté les règles du confinement en mettant peut-être en balance le plaisir (d’une sortie non justifiée) et la souffrance attendue (paiement d’une amende – en plus du risque de contagion), exception faite de quelques illustrations nationales et locales[3] qui ont confirmé que certains individus qui marchent pouvaient aller plus loin qu’un intellectuel assis.

Pour ces irréductibles réfractaires du confinement, de manière  piquante, les violations répétées des règles édictées les ont conduits à subir une peine d’emprisonnement, c’est-à-dire…un confinement forcé en quelque sorte avec en prime un risque de contagion !


Droit pénal & confinement 

Pendant cette période de crise sanitaire, des mesures de confinement ont été imposées pour tenter d’endiguer la propagation du virus.  Mobilisé à cette occasion, le Droit pénal s’est révélé sous un triple jour : évolutif, approximatif et préventif.

  • Evolution(s)

Trois temps – Cette crise du COVID-19 a donné naissance à une législation évolutive (et temporaire), un enchevêtrement de dispositions réglementaires et législatives peu digestes, même pour les juristes les plus chevronnés.

Dans un premier temps, le non-respect des mesures de confinement et de fermeture d’établissements prévues par les arrêtés successifs du ministre de la santé était sanctionné d’une amende de 38 euros. Il s’agit en réalité de l’application classique des dispositions du Code pénal qui prévoient que « La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe »[4]. Cette répression pénale est apparue limitée et peu dissuasive.

C’est pourquoi dans un second temps, le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 a créé une contravention (spécifique) réprimant la violation des mesures destinées à prévenir et limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population (mesures prises en application du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19). Sont désormais punies de l’amende prévue pour les contraventions de 4ème classe, soit 750 euros : la violation des interdictions de se déplacer hors de son domicile, la méconnaissance de l'obligation de se munir du document justifiant d'un déplacement autorisé, ainsi que la violation des mesures restrictives prises par le préfet lorsque des circonstances locales l'exigent. Il convient de préciser que la procédure de l’amende forfaitaire étant applicable, le montant de l'amende forfaitaire et de l'amende forfaitaire majorée s'élèvent respectivement à 135 et 375 euros.

Dans un dernier temps, est intervenue la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 qui tout en insérant un dispositif d’état d’urgence sanitaire dans le Code de la santé publique, a en enrichi son article L. 3136-1 de plusieurs dispositions répressives.

On y (re)trouve tout d’abord plusieurs contraventions de 4ème classe (avec application de l’amende forfaitaire) en cas de violation des interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 du Code de la santé publique (CSP). Il s’agit concrètement des mesures prises par arrêté du ministre de la Santé ou du Premier ministre qui sont «  proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (règles de déplacement, rassemblement, distanciation sociale, contrôle des prix des gels hydro alcooliques).

On y découvre ensuite un mécanisme d’aggravation en cas de réitération de l’infraction de non-respect des règles du confinement précitée. Cette répression graduée repose sur de simples verbalisations et non sur une décision de condamnation définitive, à la différence de la récidive. Un premier palier conduit à punir d’une amende de 1500 euros (contravention de la 5ème classe) « si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours ». Cette disposition reflète un choix de sévérité qui a été adouci ensuite par le décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 qui a étendu la procédure de l'amende forfaitaire à cette contravention fixant ainsi les montants de l'amende forfaitaire et de l'amende forfaitaire majorée à 200 € et 450 €. Un second palier répressif conduit le législateur à correctionnaliser la contravention initialement prévue « si les violations (…) sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours »[5]. Les faits sont alors punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d'intérêt général, de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l'infraction a été commise à l'aide d'un véhicule. Il convient de noter que le législateur a commis une petite erreur car le travail d’intérêt général n’est pas une peine complémentaire mais une peine alternative à l’emprisonnement qui ne peut donc se cumuler avec celui-ci[6]. Cette répression graduée repose sur de simples verbalisations et non sur une décision de condamnation définitive, à la différence de la récidive.

  • Approximation ?

Clarté et précision du délit de violation du confinement – Ces dispositions pénales issues de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à̀ l'épidémie de covid-19, et plus particulièrement ce délit de violation réitéré du confinement, sont-elles conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution ?

Concernant cette nouvelle incrimination, trois tribunaux judiciaires (Bobigny, Poitiers, Saint-Etienne) ont décidé de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « Les dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 3136-1 du CSP, créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe de légalité des délits et à l’exigence pour le législateur d’épuiser sa propre compétence, ainsi qu’au principe de la présomption d’innocence ? » En complément, le tribunal judiciaire de Paris a lui transmis à la Chambre criminelle une seconde QPC formulée de la manière suivante : « En édictant les dispositions du 4e alinéa de l'article L. 3136-1 du CSP, telles que modifiées par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de COVID-19, le législateur a-t-il, en premier lieu, porté atteinte au droit à un recours effectif, en deuxième lieu, porté atteinte aux droits de la défense, en troisième lieu, méconnu le principe de légalité des délits et peines et, en quatrième lieu, méconnu le principe de nécessité et de proportionnalité des peines ? »

Une partie des griefs a été entendue par la Cour de cassation qui, le 13 mai 2020, a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel ces questions portant sur les dispositions de l’alinéa 4 de l’article L. 3136-1 du CSP qui incriminent la violation d’interdictions ou obligations édictées en application du 2° de l’article L. 3131-15 du même code[7].

Selon la Chambre criminelle, la question présente un caractère sérieux en raison du risque d’atteinte porté au principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au principe de la présomption d’innocence garantie par son article 9. Il est vrai que le législateur français a créé un délit caractérisé par la répétition de simples verbalisations réprimant la méconnaissance d’obligations ou d’interdictions dont le contenu pourrait n’être pas défini de manière suffisamment précise dans la loi qui renvoie à un décret du Premier ministre.

Le principe de légalité criminelle impose au législateur de donner une définition précise des éléments constitutifs de l’infraction. Ainsi, le Conseil Constitutionnel affirme de manière constante que « le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité́ des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire »[8]. Cette absence de clarté et de précision a ainsi conduit les Sages à censurer l’emploi du terme « famille » comme critère des agressions et atteintes sexuelles « incestueuses »[9] ainsi que le délit de harcèlement sexuel dont les éléments constitutifs n’étaient pas suffisamment définis[10].

Concernant le délit de violation réitérée du confinement, on ne peut reprocher (même si la technique du renvoi est désagréable) au législateur d’ériger en infraction le manquement à des obligations ou interdictions qui ne résultent pas directement de la loi elle-même[11]. En revanche, il ne peut, sans méconnaître le principe de légalité, s’en remettre au pouvoir réglementaire pour déterminer la portée de cette infraction. Que faut-il entendre par « déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé » ou « achats de première nécessité » ? Autant d’expressions qui ne relèvent pas du législateur mais du pouvoir réglementaire. Rappelons qu’en 2017, le Conseil constitutionnel a abrogé le délit de communication irrégulière avec une personne détenue au motif qu'en remettant au pouvoir réglementaire pour déterminer la portée du délit, le législateur n'a pas fixé lui-même le champ d'application de la loi pénale et a ainsi méconnu les exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines[12].

 

  • Prévention

La mise en danger de la vie d’autrui ? – En plus de ces dispositions pénales particulières, le risque sanitaire de contagion conduit également à s’interroger sur le recours à des qualifications de droit commun à l’instar du délit de mise en danger de la vie d’autrui (ou de risque causé à autrui). L’article 223-1 du Code pénal punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Il s’agit d’une infraction de prévention qui a pour objet de réprimer le comportement socialement dangereux d’une personne indépendamment de son résultat. Utilisée à l’origine dans la lutte contre certains fléaux sociaux tels les accident de la route ou du travail, cette qualification délictuelle a connu un regain d’intérêt en cette période de crise sanitaire (et de risque de contagion).

C’est tout d’abord à l’encontre des personnes n’ayant pas respecté les règles du confinement que le délit de mise en danger de la vie d’autrui a été retenu justifiant ainsi des placements en garde à vue, ce que la contravention encourue ne permettait pas. Toutefois, la mise en œuvre de cette incrimination est apparue inadaptée, mal appropriée voire détournée selon plusieurs juristes[13]. Certes, certaines composantes de l’infraction paraissent caractérisées sans grande difficulté : d’une part, le respect des mesures de confinement constitue une obligation particulière de prudence ou de sécurité et d’autre part, la violation manifestement délibérée se retenue à l’encontre de celui brave les interdictions en connaissance de cause. Il reste néanmoins à démontrer que ce comportement a exposé directement autrui à risque immédiat de mort ou de blessures. S’il ne faut aucun doute que la contamination par le COVID est susceptible d'entraîner pour une victime potentielle la mort ou des blessures d'une extrême gravité, il faut encore caractériser les circonstances objectives concrètes qui, combinées avec la violation délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence édictée par une norme, exposent à ce risque qualifié. La difficulté est essentiellement probatoire : il faut faire la démonstration d’un comportement particulier, s’ajoutant à la violation des règles du confinement, donnant ainsi naissance au risque. Ainsi, « le fait de quitter son lieu de confinement en sortant dans l'espace public et en bravant les interdictions n'engendre aucun risque : une personne ne peut transmettre le virus à quiconque si elle arpente la rue, serait-ce en se sachant contaminée, en toussant à chaque pas, sans éternuer dans son coude et en crachant par terre, du moment qu'elle a vérifié qu'aucun quidam ne s'y trouve »[14].

En bref, la qualification de mise en danger de la vie d’autrui serait une « fausse bonne idée » ainsi que le confirme la circulaire du 25 mars 2019 « l’exigence tenant à la caractérisation d’un risque immédiat de mort ou de blessures graves ne paraît pas remplie, au regard des données épidémiologiques connues. Du reste, demeurent autorisées des dérogations à ces mesures. En l’absence de circonstances particulières, la qualification de mise en danger d’autrui doit ainsi être écartée au profit des nouvelles incriminations prévues par la loi du 23 mars 2020 »[15].

C’est ensuite à l’encontre des responsables administratifs et politiques que des plaintes ont été déposées notamment du chef de mise en danger de la vie d’autrui. De manière similaire, la réunion des éléments constitutifs de ce délit risque de poser les mêmes difficultés probatoires concernant le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures. En revanche, les plaintes pour homicides involontaires peuvent effectivement d’appuyer sur la violation d’un arrêté destiné à la lutte contre le Covid 19 qui peut constituer une faute d’imprudence. Mais, à nouveau, les difficultés vont ressurgir lorsqu’il faudra établir la preuve du lien de causalité entre la faute reprochée au prévenu et le préjudice subi par la victime. Quant aux plaintes pour non-assistance à personne en danger (art. 223-6 C. pénal), pour aboutir elles supposeraient qu’une personne soit directement exposée à un péril et surtout que démonstration soit faite d’un refus volontaire de la part des personnes mises en cause. Ce délit n’est pas destiné à sanctionner de simples négligences, erreurs ou fautes, mêmes lourdes.

Il ne reste alors que le délit d’abstention volontaire de prendre ou de provoquer les mesures permettant de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes prévu par l’article 223-7 du Code pénal. Cette infraction a justement été créée en 1992 afin de réprimer des faits qui ne pouvaient pas tomber sous le coup de la non-assistance à personne en péril, parce qu'aucun péril pour autrui n'était caractérisé. Toutefois, il s’agit d’un infraction qui n’a pas donné lieu à beaucoup de jurisprudence depuis sa création.

 

 

Droit pénal & déconfinement

Puisque le législateur a organisé le confinement en s’appuyant sur le droit pénal, il a logiquement décidé d’en faire de même à l’occasion du déconfinement. La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ainsi que le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à̀ l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire contiennent à nouveau des dispositions répressives qui se traduisent par des adaptations nécessaires, une extension logique et enfin une précision inutile.

 

  • Adaptations

Déplacements, transports, rassemblements – La logique de déconfinement a conduit le législateur à préciser et compléter les dispositions de l’article L. 3131-15 du CSP en matière de règlementation des déplacements et des transports et d’ouverture des établissements recevant du public et des lieux de regroupement de personnes.

Le Premier ministre peut désormais par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :

- Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage[16] ;

- Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité[17] ;

- Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. L'indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense[18].

C’est sur la base de ces ajustements qu’a été pris le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 qui vient notamment :

- interdire « tout déplacement de personne la conduisant à la fois à sortir d'un périmètre défini par un rayon de 100 kilomètres de son lieu de résidence et à sortir du département dans lequel ce dernier est situé »[19]. Une liste de motifs de déplacements dérogatoires sont limitativement énumérés[20] ;

- interdire à tout navire de croisière, de faire escale, de s'arrêter ou de mouiller dans les eaux intérieures et la mer territoriale françaises, sauf exception accordée par le préfet du département ;

- Imposer à toute personne de onze ans ou plus qui accède ou demeure dans les véhicules ou dans les espaces accessibles au public et affectés au transport public collectif de voyageurs de porter un masque de protection répondant aux caractéristiques techniques fixées par l'arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget. Sans préjudice des sanctions pénales prévues à l'article L. 3136-1 du code de la santé publique, l'accès auxdits véhicules et espaces est refusé à toute personne qui ne respecte pas cette obligation et la personne est reconduite à l'extérieur des véhicules et espaces concernés ;

- interdiction, sur l’ensemble du territoire de la République de « tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes »[21]. Aucun évènement réunissant plus de 5 000 personnes ne peut se dérouler sur le territoire de la République jusqu'au 31 août 2020[22].

En conséquence, le non-respect de ces interdictions ou obligations peut donner lieu à des sanctions pénales sur le fondement des dispositions pénales de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique.

Ainsi, les personnes qui se déplacent au-delà des 100 km sans motif légitime ou sans justificatifs, qui ne portent pas de masque de protection dans les transports publics de voyageurs seront punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe (750 euros) qui pourra faire l’objet d’une amende forfaitaire (135 euros). Dans l’hypothèse où cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l'amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe (soit 1500 euros – sauf amende forfaitaire). Enfin, les faits seront punis de de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende Si les violations sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours. Cependant, la légalité de ce délit de violation réitéré du (dé) confinement est discutable comme nous l’avons expliqué auparavant puisque le législateur s’en remet au pouvoir réglementaire pour déterminer la portée de cette infraction.

 

 

  • Extension

Listes des agents pouvant verbaliser les contraventions – Le législateur ayant étendu le champ de la contravention créée à l’article L. 3136-1 du code de la santé publique consistant à violer des interdictions ou obligations dans le cadre de l’état d’urgence, il lui a fallu étendre la liste des agents habiliter à constater ces infractions.

La loi du 23 mars 2020 a ainsi permis aux agents de police municipale, gardes-champêtres, agents de la ville de Paris chargés d’un service de police, contrôleurs de la préfecture de police et agents de surveillance de Paris la compétence pour constater ces contraventions, dès lors qu’elles ne nécessitent pas d’actes d’enquête particuliers et qu’elles se situent sur le territoire pour lequel ils sont assermentés[23]. La loi du 11 mai 2020 a poursuivi cette logique d’extension des agents habilités à constater la violations des dispositions prises sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire.

Cette liste généreuse devrait permettre de contrôler le respect des règles du déconfinement. Peuvent constater par procès-verbal ces contraventions de 4 et 5ème classe certains agents de police judiciaire adjoints[24], les agents assermentés de l'exploitant du service de transport ou les agents assermentés d'une entreprise de transport agissant pour le compte de l'exploitant, les agents assermentés missionnés des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens[25], des fonctionnaires habilités par le ministre de l’Économie[26] ainsi que les capitaines des navires[27].

A y regarder de plus près, en conférant ce pouvoir de verbalisation à des agents de police judiciaire adjoints et agents de la filiale Gare et connexions de la SNCF et de la RATP, personnes dépourvues de lien direct avec un officier de police judiciaire, le législateur n’a-t-il pas porté atteinte au principe constitutionnel du placement de la police judiciaire sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire, qui résulte de l’article 66 de la Constitution ?

A cette question importante, le Conseil constitutionnel, lors du contrôle a priori de la loi du 11 mai 2020, a apporté sans surprise une réponse négative : les prérogatives confiées à ces deux catégories d’agents ne contreviennent pas aux exigences résultant de l’article 66 de la Constitution. Par le passé, le Conseil constitutionnel a déjà admis que des attributions limitées relevant de la police judiciaire puissent être confiées à des personnes qui n’ont pas la qualité d’officier ou d’agent de police judiciaire, dès lors que celles-ci n’exercent pas de pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle[28]. La prérogative des agents assermentés des exploitants de services de transport ou de leurs sous-traitants et à ceux des services internes de sécurité de la société nationale SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens est expressément limitée au cas où de telles contraventions sont commises dans les véhicules et emprises immobilières de ces services de transport. L’extension prévue par le législateur se limitent aux contraventions et ne leur permet pas de constater le délit de violation réitéré du confinement qui requiert toujours l’intervention d’un officier ou d’un agent de police judiciaire.

Cependant, on ne peut s’empêcher de rappeler que le régime des contraventions de la 5e classe, est plus proche de celui applicable aux délits (à tel point qu'on leur attribue la dénomination de « contraventions-délits ») que celui des contraventions des quatre premières classes…

 

  • Précision

Conditions de la responsabilité des élus et chefs d’entreprise – La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire a introduit au sein du Code de la santé publique un nouvel article L. 3136-2  relatif aux conditions d'engagement de la responsabilité pénale en cas de catastrophe sanitaire.

Selon les nouvelles dispositions légales, « L'article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur »[29]. De telles dispositions appellent un certain nombre d’observations de notre part. 

Premièrement, cet article L. 3136-2 trouve son origine dans l’inquiétude grandissante des maires (et certains chefs d’entreprise) de voir leur responsabilité pénale engagée en raison des décisions prises dans le cadre du déconfinement. Ces élus locaux craignent en effet un procès pénal pour des délits de mise en danger de la vie d’autrui et d’homicides involontaires en cas de non-respect des règles du protocole sanitaire ou de réouverture des écoles. En effet, la faute reprochée aux décideurs locaux est rarement une faute d’imprudence cause directe du préjudice mais fréquemment une faute qualifiée ayant causé indirectement le dommage c’est-à-dire qui a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter.

Deuxièmement, pour répondre à cette inquiétude judiciaire, le Sénat avait prévu initialement une disposition prévoyant que « nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire (…) soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination »[30]. L’objectif affiché est bien de neutraliser le temps de la crise sanitaire toute responsabilité pénale pour une faute caractérisée des élus locaux en interdisant de leur reprocher toute faute consistant à exposer autrui à une contamination ou d’un tel risque. L’amendement prévoyait des limites à « cette immunité pénale » et notamment en violation manifestement délibérée d'une mesure de police administrative prise à ce titre ou d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Or, les juristes le savent, la caractérisation de la faute délibérée est difficile à prouver en pratique… Comme l’a souligné la doctrine, cette disposition initiale du Sénat « serait une sorte de loi d’amnistie par avance qui n’a pas de précédent en droit pénal français »[31]. Devant l’opposition du Gouvernement, la disposition a été réécrite pour préciser les conditions d'engagement de la responsabilité pénale en cas de catastrophe sanitaire.

Troisièmement, le Conseil constitutionnel a déclaré que ces dispositions me méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale puisqu’elles « ne diffèrent donc pas de celles de droit commun et s'appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire »[32].

Enfin, dernier temps et non des moindres : quelle est la portée d’une telle disposition ? Il s’agit d’une disposition qui est au mieux est interprétative et en réalité n’est que symbolique. Sur le contenu, il n’y ni atténuation ni exonération de responsabilité pénale pour l’autorité locale ou l’employeur.

Cette disposition est même inutile puisqu’elle ne fait que rappeler ce que contient déjà le Code pénal à l’article 121-3 du Code pénal, à savoir que le juge pénal doit procéder à une appréciation in concreto la faute pénale. Ce « copier-coller » de l’article 121-3 du Code pénal par le Code de la santé publique remplit une fonction déclarative : rassurer les élus. Enfin, n’oublions pas que le Code de la santé publique est adepte des répétitions volontaires et inutiles comme le prouvent les articles L. 1272-1[33] et L. 2222-1[34].

 

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[1] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-55-Avril-2020

[2] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-55-Avril-2020

[3] https://www.marianne.net/societe/en-sarthe-deux-freres-emprisonnes-pour-avoir-viole-une-vingtaine-de-fois-le-confinement

[4] C. pén., art.  R. 610-5.

[5] CSP, art. L. 3136-1.

[6] C. pén., art. 131-9.

[7] Cass. crim. 13 mai 2020, n° 20-90.003 QPC, 20-90.004 QPC et 20-90.006 QPC.

[8] Cons. Const., 6 février 2015, n° 2014-448 QPC.

[9] Cons. Const. 16 sept. 2011, n° 2011-163 QPC et 17 févr. 2012, n° 2011-222 QPC.

[10] Cons. Const., 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC.

[11] Cons. const. 10 nov. 1982, n° 82-145 DC.

[12] Cons. Const., 24 janv. 2017, n° 2016-608 QPC.

[13] C. Pollini, Mise en danger de la vie d’autrui. L’argument massue du confinement, Mediapart, 20 mars 2020.

[14] P. Conte, Le droit pénal de crise : l'exemple du virus Covid-19, Droit pénal 2020, étude 2 ; dans le même sens, voir J.-B Perrier, Le droit pénal du danger, D. 2020, p. 937.

[15] Circulaire de présentation des dispositions applicables pendant l’état d’urgence sanitaire et relative au traitement des infractions commises pendant l’épidémie de Covid-19, p. 7.

[16] Avant cette loi du 11 mai 2020, il pouvait « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ».

[17] Avant cette loi du 11 mai 202à, Il pouvait « ordonner la fermeture provisoire d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l'exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ».

[18] Avant la loi du 11 mai 2020, Il pouvait « Ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l'usage de ces biens. L'indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ».

[19] Art. 3 D. n° 2020-548 du 11 mai 2020.

[20] 1° Trajets entre le lieu de résidence et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle, et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ; 2° Trajets entre le lieu de résidence et l'établissement scolaire effectué par une personne qui y est scolarisée ou qui accompagne une personne scolarisée et trajets nécessaires pour se rendre à des examens ou des concours ;
3° Déplacements pour consultation de santé et soins spécialisés ne pouvant être assurés à distance ou à proximité du domicile ; 4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance des personnes vulnérables, pour le répit et l'accompagnement des personnes handicapées et pour la garde d'enfants ; 5° Déplacements résultant d'une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l'autorité de police administrative ou l'autorité judiciaire ; 6° Déplacements résultant d'une convocation émanant d'une juridiction administrative ou de l'autorité judiciaire ; 7° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et dans les conditions qu'elle précise.

[21] Art. 7 D. n° 2020-548 du 11 mai 2020.

[22] Art. 8 D. n° 2020-548 du 11 mai 2020.

[23] Art. L. 3136-1, al. 6 du Code de la santé publique.

[24] Aux termes de l’article 21 du Code de procédure pénale, il s’agit plus précisément des fonctionnaires des services actifs de police nationale ne remplissant pas les conditions prévues par l'article 20 ; des volontaires servant en qualité de militaire dans la gendarmerie et les militaires servant au titre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale ne remplissant pas les conditions prévues par l'article 20-1 ; des adjoints de sécurité mentionnés à l'article 36 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité et les membres de la réserve civile de la police nationale qui ne remplissent pas les conditions prévues à l'article 20-1 du présent code.

[25] Art. L. 2241-1, 4 et 5° du Code des transports.

[26] Art. L 450-1, I.  du Code de commerce.

[27] Art. L. 5222-1, 11 du Code des transports.

[28] Cons. Const., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, cons. 59.

[29] Art. L. 3136-2 du Code de la santé publique.

[30] https://www.senat.fr/amendements/commissions/2019-2020/414/Amdt_COM-51.html

[31] D. Rebut, Vers une immunité pénale inédite en droit français : le cas de la responsabilité des maires, Club des juristes, 5 mai 2020.

[32] Cons. Const. 11 mai 2020, n° 2020-800 DC, § 13.

[33] « Comme il est dit à l'article 511-2 du code pénal ci-après reproduit : Le fait d'obtenir d'une personne l'un de ses organes contre un paiement, quelle qu'en soit la forme, est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100000 euros d'amende. »

[34] « Comme il est dit à l'article 223-10 du code pénal ci-après reproduit :" L'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

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