Covid-19 : entre bouleversement de nos pratiques pédagogiques, autonomie, coéducation et écologie.

Regards de chercheur.e.s

Covid-19 : entre bouleversement de nos pratiques pédagogiques, autonomie, coéducation et écologie.

par Amina COURANT MENEBHI, enseignante-chercheure en géographie sociale à Le Mans Université, ATER au laboratoire Espaces et Sociétés (ESO - UMR CNRS).

« Plus je lis sur le Coronavirus, sur les stratégies de lutte, sur le confinement et ses conséquences à terme, plus je trouve la controverse, et plus je suis dans l'incertitude. Alors il faut supporter toniquement l'incertitude. L'incertitude contient en elle le danger et aussi l'espoir » (Edgar Morin).

Nous souhaitons à travers cet article apporter une note positive et un signe d’espoir à toutes celles et ceux qui s’efforcent matins et soirs à faire de leur mieux pour maintenir une continuité scolaire à la maison pour leurs élèves, leurs enfants, leurs jeunes. Il est vrai qu’en s’accélérant de plus en plus, l’histoire de l’humanité est devenue vertige.
Vertige qui ne cesse de nous inviter dans le même temps à lâcher prise pour un sursaut de vie. Mais la vie est par définition une ouverture sans certitudes. C’est même cette certitude qui lui donne saveur et sens.

Avant d’être un citoyen, l’enfant humain n’est-il pas un complexe de virtualités qui nécessitent d’être éveillées et élevées ? La cellule familiale est théoriquement la pourvoyeuse des valeurs fondamentales, mais est-elle encore en mesure d’assumer ce rôle ?

Depuis le 16 mars 2020, les écoles, collèges, lycées et universités en France sont fermés. De nombreux établissements en Europe et dans le monde ont précédé ou suivi cette action à cause de la pandémie dévastatrice du Coronavirus. Une situation inédite jamais envisagée qui va bouleverser sans aucun doute nos habitudes de travail et de vie. Enseignants, parents et élèves ont été lancés sans préparation dans une vaste opération d’enseignement à distance. De nombreuses initiatives et outils (« ma classe à la maison », des classes virtuelles, la visioconférence, l’espace numérique de travail, etc…) ont été mis à disposition pour permettre aux jeunes de continuer à recevoir le savoir pédagogique mais encore faut-il être à la page ou à la pointe de la technologie pour savoir manier ces outils aisément. Ce n’est pas le cas pour toutes les familles qui, en plus de devoir disposer d’un ordinateur et d’une connexion internet, doivent se plier aux mêmes règles que tout le monde

En plus des tâches ménagères quotidiennes et du télétravail dans le cas où c’est possible, les familles doivent être disponibles, patientes et compétentes si nous ne voulons pas voir accroître les inégalités sociales. Certes, un des handicaps réside dans les problématiques techniques que peuvent rencontrer aussi bien les élèves que les enseignants. Ces difficultés existent bien entendu lorsque l’on n’a jamais effectué de classe virtuelle. D’autres contraintes reposent aussi sur la possibilité d’accéder à internet, à un réseau performant, au matériel approprié. La fracture numérique créée ainsi de fait une inégalité entre les élèves.

 

Nous sommes tous conscients que les familles aux revenus modestes vivent souvent dans des espaces réduits et sans nécessairement avoir des outils adéquats ou sans forcément maîtriser des outils pour les divers apprentissages. Les inégalités s’accumulent les unes avec les autres. On transfère à ces familles l’engagement et la responsabilité des apprentissages.

 

Côté enseignants, soulignons que la férocité de l’application des mesures de confinement a poussé ces derniers à devoir très vite se plonger dans l’extension de l’enseignement numérique pour assurer cette continuité pédagogique. Une configuration qui demeure éloignée de l’interaction physique, du contact humain, du face à face mais qui porte une autre façon d’envisager la transmission des savoirs pédagogiques. Défi, challenge et nouveauté pour les uns, épreuve, casse-tête, travail supplémentaire pour les autres, le but étant le même : rassurer, avancer, adapter mais surtout parvenir à transmettre des savoirs et des compétences égales à tous sans laisser personne au bout du chemin.

Si la mise en route fut quelque peu longue, cette situation exceptionnelle pourrait être une occasion de se former pour utiliser les outils disponibles au mieux. Que ce soit pour un travail collaboratif ou pour la diffusion de son travail, l’essence même du numérique est le partage... Le recours à ce dernier est en effet propice à de nouvelles formes d’apprentissage. Un élève n’est plus limité à un seul manuel scolaire dans une discipline donnée, mais il peut travailler avec une variété infinie de livres scolaires en ligne et recueils d’exercices. De plus, cet accès à des ressources immenses se fait de manière instantanée et à tout moment de la journée. L’élève a constamment accès, via son ordinateur, à ses manuels et ses outils de travail. De plus, les outils technologiques modernes d’enseignement favorisent un apprentissage individualisé et plus adapté au rythme de chaque élève. Celui-ci a la possibilité de recommencer un grand nombre de fois chaque exercice, de revenir sur une notion mal comprise et il n’est plus prisonnier du rythme globale de la classe. Les élèves les plus rapides peuvent aussi y trouver un intérêt majeur, demander des exercices supplémentaires aux enseignants ou aux parents. Enfin, rappelons tout de même que le monde actuel dans lequel nous vivons est hyper connecté et est déjà dominé par la technologie et le numérique, demain ceci sera encore plus amplifié. Il est donc précieux que les enfants soient préparés au monde qu’ils trouveront à l’âge adulte et acquièrent, en bas âge, des méthodes pour se servir de manière adéquate des outils numériques modernes.

Cependant, nous assistons tous à un changement radical de la relation enseignant-enseigné. De manière habituelle, l’enseignant est certifié dans sa maîtrise de savoirs et sa capacité à créer, gérer, réagir aux imprévus des situations qui permettent aux élèves de les acquérir. Avec ce bouleversement de situation lié au Covid 19, l’affaire est tout autre : en tant que parents, il s’agit d’accompagner nos enfants à mieux structurer leur temps de travail, à faire en sorte de trouver un équilibre, à pousser davantage leur curiosité et leur autonomie. Des contrats implicites s’élaborent entre d’un côté les parents qui changent de casquette en prenant le rôle de pédagogues, d’éducateurs, d’accompagnateurs et de l’autre côté l’enfant. En opposition aux pratiques coutumières du métier d’enseignant, l’objectif en tant que parent est double : participer activement à l’élaboration d’une durabilité dont nul ne peut garantir l’orientation et vivre une expérience en elle-même éducative.

Prenons le bon côté des choses

Force est de constater que chaque famille, selon son territoire d’habitation (urbain, périurbain, rural) peut proposer des choses diverses et variées. Pour ceux qui ont la chance d’habiter en campagne, c’est peut-être l’occasion d’éveiller et d’élever davantage la conscience des enfants en étant plus proche de la nature (activités de jardinage, couper du bois, fabriquer des nichoirs, apprendre à contempler et à observer la nature, fabriquer des capteurs d’énergie solaire, se procurer des bienfaits de l’extérieur, pêcher, utiliser un tracteur, une tondeuse, etc…). Pour ceux qui ont le privilège d’avoir un petit bout de jardin ou de terrain, c’est l’occasion de mettre le savoir en rapport avec la vie quotidienne. Le terrain permet d’établir un va-et-vient entre pratique et théorie. C’est une source où prend naissance l’envie, c’est un point d’appui pour le questionnement, la curiosité, c’est un lieu d’expérimentation du réel, du concret.

Permettre à des enfants de vivre au contact de la nature et d’adopter naturellement des comportements écologiques prépare les générations futures à de nouvelles pratiques déterminantes pour le bien-être.  L’expérience sur le terrain incite à ne plus s’accrocher à ses références habituelles et à affronter l’inconnu, à vérifier de nouvelles hypothèses. C’est là un travail de déconstruction-reconstruction de l’éducateur vis-à-vis de l’enfant. De notre point de vue, il y a réussite pour l’apprenant dès le moment où quelque chose de nouveau se passe pour lui. Le changement pourra tenir à un plaisir d’apprendre, d’expérimenter, de comprendre, d’assouvir une curiosité, de poursuivre une recherche, etc…

Pour reprendre l’idée d’un auteur que nous affectionnons particulièrement, Pierre Rabhi, romancier, philosophe et expert de l’agroécologie français, il faut être effectivement attentif à l’enfant, en développant une pédagogie de l’être qui permette avant toute chose de le faire naître à lui-même, c’est-à-dire de l’aider à révéler sa propre personnalité, ses talents, sa créativité, ses convictions. Ce qui est certain c’est que durant cette période de confinement, une bonne partie des élèves aura découvert l’autonomie et aussi des nouvelles formes de travail coopératif. Les parents, comme « pseudos-enseignants » auront assuré des tâches insolites, des responsabilités inhabituelles, pédagogiques dont ils auront du mal à s’en séparer, au moins pour les plus éduqués d’entre eux.

Enfin, nous souhaitons de toute notre raison et de tout notre cœur une éducation qui ne se fonde pas sur l’angoisse de l’échec, mais l’enthousiasme d’apprendre. Une éducation qui révèle l’enfant à lui-même tout en lui révélant les richesses, l’énergie et la beauté qu’offre le monde à son alliance vitale et non à son insatiabilité dévastatrice. Une éducation qui abolisse « le chacun pour soi » pour exalter la puissance de la solidarité. Une éducation où le pouvoir de chacun soit au service de tous. Car demain ne pourra pas être sans la coalition des forces positives et constructives dont chacun de nous est le dépositaire.

« Êtes-vous optimiste ou pessimiste pour l’avenir ? », l’auteur français Georges Bernanos écrivait que l’optimiste est un imbécile heureux et le pessimiste un imbécile triste. La société est à l’évidence de plus en plus anxiogène et agitée, et cela va s’accentuer en même temps que le ravage de la biosphère et l’indigence dont est responsable l’avidité du genre humain. Tant que nous n’aurons pas compris que toute crise humaine est issue de l’humain et que, mis à part les facteurs que nous ne pouvons maîtriser, l’avenir sera ce que les humains en feront. Rien d’autre.

Co-éduquer, c’est éduquer ensemble, en mutualisant les capacités parentales, les compétences de l’école et les ressources de l’environnement. Les parents, premiers éducateurs, et tous ceux qui gravitent autour de l’enfant, ont différentes influences sur lui. L’enjeu réside dans une mutualisation non hiérarchisée, mais complémentaire des apports éducatifs, même s’ils comportent parfois des contradictions.

Transformons cette période sombre et lugubre en une parenthèse forte et positive en redonnant confiance à nos enfants, apprenons à mieux les observer, à les aider, à les rendre autonomes, à accepter leurs erreurs, à les valoriser, à les rassurer, à les écouter, à les laisser prendre des décisions, à les inciter à coopérer. Bref, à les laisser VIVRE…

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