COVID-19 : Éboueur, le nouveau sauveur !

Regard de chercheur.e.s

COVID-19 : Éboueur, le nouveau sauveur ! Anticiper la résilience territoriale autour des déchets

Un article co-écrit par Mathieu Durand, enseignant-chercheur en géographie et aménagement, Le Mans Université, IUF, laboratoire Espaces et Sociétés (ESO - UMR CNRS 6590) et Hélène Beraud, enseignante-chercheure en génie urbain, Université Gustave Eiffel, Lab’Urba.

 

Le personnage de l’éboueur, tout comme le travailleur des déchets[1] au sens large a toujours été un personnage socialement dévalorisé. La crise du covid-19 leur a redonné une place de choix puisqu’ils assurent la salubrité de nos espaces urbanisés et méritent en tant que tel un respect nouveau. De personnage nocturne associé à la saleté, venant obstruer nos voies de communication et souiller nos espaces publics, l’éboueur (avec toute l’imprécision technique de ce terme) est devenu ce héros (ou non[2] ?) national qui continue de sortir malgré les risques de contamination et qui assure l’évacuation de nos déchets et le nettoiement de nos rues.

Derrière ce portait en contraste, se cache un service public dont le sens même et les objectifs sont réinterrogés par la crise actuelle. De service public d’élimination des déchets à partir de 1975, il a progressivement intégré des missions de valorisation des déchets, de recyclage, de compostage, de production d’énergie, mais aussi d’économie circulaire, d’influence des consommateurs (prévention des déchets, zéro déchet…) et des activités économiques (réparation, écologie industrielle et territoriale, écoconception…). Cette diversité de missions est aujourd’hui réinterrogée par l’adaptation nécessaire à la crise du covid-19.

Dans l’urgence, de gros doutes sur la façon de protéger les travailleurs du déchet

Suite à l’annonce du confinement généralisé par le gouvernement français le 16 mars 2020, tous les EPCI (Établissements Publics de Coopération Intercommunale) se sont organisés dans l’urgence pour adapter leur service de gestion des déchets. Si les services administratifs sont très rapidement passés en télétravail, les agents de terrain (chauffeurs, ripeurs, agents de tri, etc.), se doivent de poursuivre leur activité. Certaines collectivités locales ont accordé une grande importance à l’accompagnement psychologique des équipes de terrain (Mulhouse Alsace Agglomération) ou à ce que l’encadrement soit présent chaque matin au départ des équipes (SMICVAL). Dans d’autres territoires, cette mise en œuvre a été plus conflictuelle, notamment lorsqu’une négociation visant à imposer des horaires fixes aux équipes de collecte (fin du fini-parti) avait eu lieu juste avant la crise, et que ces horaires souples sont à nouveau mis en œuvre depuis la crise pour éviter les croisements de personnels.

Contrairement à ce qu’ils avaient imaginé, aucun territoire enquêté[3] n’a connu de baisse significative du nombre de personnels disponibles. Chauffeurs et ripeurs ont toutefois fait part de leurs inquiétudes concernant leur propre protection au COVID-19. Tous les territoires ont donc adapté les conditions de travail dans la mesure de leurs possibilités et dans la mesure de l’évolution du cadrage national. La présence de masques est par exemple très aléatoire selon les territoires, du fait des hésitations nationales et du manque de masques disponibles sur le terrain [4].

La seule mesure réellement partagée par tous les territoires est l’adaptation des horaires pour éviter les croisements de personnels et l’interdiction pour les personnels de se retrouver à trois dans la cabine du camion de collecte au moment du transport. Cette dernière mesure a imposé, là où le mono-ripage n’est pas en place, à l’un des deux ripeurs de se rendre directement sur le site de départ de la tournée. Si certains territoires ont pour cela réquisitionné toutes les voitures de leur collectivité, d’autres ont demandé à leurs agents (souvent les prestataires) de prendre leur propre véhicule.

 

Repli sur les missions anciennes et retour de la logique sanitariste

Si la collecte des OMR (Ordures Ménagères Résiduelles, non recyclables) a été maintenue dans tous les territoires, celle des déchets recyclables (collecte sélective, déchetterie) a été très largement suspendue. Selon AMORCE[5], 1/3 des centres de tri ont fermé leurs portes, 63% des collectes de déchets verts ont été arrêtées et 100% des déchetteries ont stoppé tout ou partie de leur activité. Les EPCI ont suivi pour cela les recommandations du plan de pandémie grippale de 2011, et notamment de sa fiche 3F17, sans que celui-ci n’ait pu être actualisé.

La planification de la gestion des déchets « de situations exceptionnelles » fait partie depuis 2015 des compétences des régions. Celles-ci viennent toutefois juste de valider leurs plans (PRPDG validé fin 2019 pour la plupart des régions), avec des recommandations très évasives concernant ce type de déchets.

La seule recommandation commune à la majorité des plans approuvés est de conseiller aux EPCI gestionnaire de déchets (les communautés de communes, communautés urbaines ou d’agglomération, les métropoles ou les établissements publics territoriaux) de mettre en œuvre un PCA (Plan de Continuité d’Activité) pour anticiper ce genre de situation.

L’essentiel des villes n’a réalisé ce document que dans l’urgence à partir du 16 mars. D’autres l’avaient anticipé, faisant des hypothèses de réduction forte du nombre de personnels de collecte qui n’ont pas eu lieu.

Dans tous les cas, tous les territoires ont resserré leur activité sur leurs missions historiquement et légalement premières, à savoir assurer la salubrité publique et limiter le contact entre usagers et déchets, tel que recommandé dès le 19ème siècle par les hygiénistes (Barles, 2005). Ainsi, l’un des enjeux forts de l’adaptation des services de gestion des déchets à cette crise réside dans la perpétuation des filières historiques de traitement que sont l’enfouissement et l’incinération, malgré le fait que celle-ci ne soient plus prioritaires en termes de hiérarchie des modes de traitement. Les installations de stockages des déchets (les décharges) ont eu l’autorisation d’accroitre les quantités et les typologies de déchets reçues (avec une demande de la part des collectivités de réduire la TGAP - Taxe Générale sur les Activités Polluantes). Les unités de valorisation énergétique des déchets (les incinérateurs) ont pour leur part dû faire face à une baisse notable des tonnages (66% en moyenne selon l’enquête AMORCE) et surtout à une réduction de la qualité des déchets (absence de déchets des commerces composés en grande partie d’emballages ayant un fort pouvoir calorifique). Les mesures mises en œuvre depuis les 30 dernières années de développement du recyclage, de l’économie circulaire, mais surtout les tentatives de raccourcissement des filières de valorisation et d’évitement de la production du déchet (compostage de quartier, vente en vrac, ressourceries, etc.) ont été jugées comme superflues.

Mise en tension de filières de recyclage souvent trop longues

Hormis les enjeux sanitaires et organisationnels invoqués pour l’arrêt de la collecte sélective, des centres de tri, et la fermeture des déchetteries, les filières de recyclage ont connus des dysfonctionnements liés à l’aval de la collecte. Si certaines filières ont vu leurs exutoires se tarir pour cause de fermeture des frontières ou des industries (aluminium, déchets électroniques, meubles, plastiques…), d’autres ont au contraire fait part d’un manque de déchets. Les professionnels du secteur ont alors demandé à tous les acteurs de reprendre la collecte des déchets par crainte de ne plus pouvoir alimenter ces filières. Il s’agit notamment des papiers, des cartons, des déchets verts (ces derniers mettant en danger le compostage des boues de stations d’épuration). Les filières s’étant taries font par ailleurs peser un risque financier pour les collectivités qui ne bénéficieraient plus du financement des éco-organismes qui les régissent. Ces éco-organismes (organismes privés agréés par l’État pour financer le recyclage) continuent de percevoir leur éco-contribution de la part des citoyens, sans reverser leur dû aux collectivités n’ayant pas pu poursuivre leur collecte sélective.

Les maires des communes ont été les premiers à pousser pour que la collecte sélective reprenne, que les déchetteries et les centres de tri rouvrent. Ce fut particulièrement le cas dans les territoires innovants en matière de gestion des déchets, ayant mis en place une redevance incitative (Valor3E), ayant développé une stratégie poussée de gestion décentralisée de déchets verts (à l’échelle des quartiers ; Nantes), de réutilisation (SMICVAL) ou de réemploi associatif (Est-Ensemble). Tout en intégrant pleinement les gestes barrières et les mesures de protection, l’argument était généralement de ne pas perdre les bonnes pratiques mises en œuvre avec de gros efforts. L’argument était également, lorsque les filières locales existent, de ne pas mettre en danger leur fonctionnement par manque de déchets.

 

Favoriser la résilience des territoires : de nouvelles opportunités pour les déchets

Si la question des circuits courts alimentaires se pose maintenant avec acuité, celle des circuits courts de valorisation des déchets est également cruciale. Cette relocalisation des cycles de matériaux est indispensable à la mise en œuvre d’une économie « authentiquement » circulaire[6], car sans cela le recyclage ne fait qu’alimenter une industrie mondiale gourmande en matière et ne réduisant qu’à la marge l’empreinte environnementale de nos consommations[7]. Notre enquête montre par exemple que le compostage individuel ou collectif, circuits court par excellence, continue de fonctionner à plein, puisque soustrait des contraintes de fermeture partielle des frontières ou de rupture dans l’un des maillons des chaines industrielles.

La gestion de la crise actuelle a donc remis en avant les principes hygiénistes[8] édictés au 19ème siècle, à savoir limiter le risque sanitaire. Elle fait donc fi de toutes les avancées postérieures visant à vivre et à maitriser ce risque sanitaire afin de ne pas uniquement avoir une position radicale de distanciation du déchet, mais également de considérer la ressource que ce déchet peut constituer pour un territoire et pour l’économie de matières premières à l’échelle planétaire.

L’idée de réapprendre à vivre avec le déchet en tant que partie prenante de l’anthroposystème est aujourd’hui remise en cause.

Cette logique s’exprime de façon exacerbée pour les emballages alimentaires et les textiles sanitaires. Leur généralisation sur les dernières décennies est à la fois le résultat de leur aspect « pratique », mais aussi hygiénique. Récemment remise en cause avec la guerre au plastique déclarée par l’Europe et le gouvernement français, ce premier pas vers le zéro déchet risque d’être remis en cause par la crise sanitaire actuelle, limitant par exemple la vente en vrac. L’enjeu est donc d’intégrer les mesures de protection envers le risque pandémique, tout en permettant le développement des pratiques de diminution des consommations matérielles, vitales à la survie de nos sociétés.

 

Cette crise pandémique n’est probablement pas la dernière et les crises économiques et environnementales qui vont lui succéder ne seront que bien pires. Il est alors, sur le plus long terme, dangereux d’hypothéquer le fonctionnement des filières de valorisation (simplement de quelques semaines avec cette première crise, mais probablement plus longuement à l’avenir). La mise en œuvre généralisée des Plans de continuité d’activité à toutes les échelles, doit permettre à terme d’intégrer un risque sanitaire renforcé avec la prééminence des risques environnementaux globaux et des crises économiques. En cela, les territoires ayant déjà géré leurs déchets en situations de crise peuvent offrir des retours d’expérience constructifs, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles[9] ou de précarité économique chronique[10].

 

[1] CORTEEL Delphine, LE LAY Stéphane (2011), les travailleurs des déchets, Editions Érès, 331p.

[2] https://robindesbois.org/les-ripeurs-trieurs-et-manipulateurs-de-dechets-ne-sont-pas-des-heros/

[3] Ce texte est le résultat d’une enquête menée auprès de 16 territoires en France Métropolitaine en avril 2020, dans le cadre de l’ANR DEPOS (Déchets Post-Ouragan).

[4] https://dechets-infos.com/dechets-infos-n-181-1er-avril-2020-4922423.html

[5] https://amorce.asso.fr/boite-a-outils-dechets-gestion-des-dechets-et-coronavirus

[6] ARNSPERGER C., BOURG D. (2016), « Vers une économie authentiquement circulaire : Réflexions sur les fondements d’un indicateur de circularité », Revue de l’OFCE, 2016, vol. 145, n°1, 91-125, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/6-145.pdf

[7] BARLES S. (2020), Métabolisme urbain et transition socio-écologique : l’invention d’une ville bas-carbone ne suffit pas pour assurer la soutenabilité urbaine, revue Urbanisme nº416, p.42-44, https://www.urbanisme.fr/scenarios-pour-une-ville-bas-carbone/dossier-416

[8] BERDIER C. & DELEUIL J.-M. (2010) « Le système "ville-déchet", une mise en perspective historique, dans DORIER-APPRILL E., Ville et environnement, Paris : Sedes, pp 453-466.

[9] BERAUD Hélène, NITHART Charlotte, DURAND Mathieu (2019), Le difficile suivi des déchets post-catastrophes : le cas de l’ouragan Irma à Saint-Martin, revue Risques Urbains nº3, 24p. https://www.openscience.fr/Le-difficile-suivi-des-dechets-post-catastrophe-le-cas-de-l-Ouragan-Irma-a

[10] DURAND M., CAVÉ J. et PIERRAT A. (2019), Quand le low-tech fait ses preuves : la gestion des déchets dans les pays du Sud, Urbanités nº12 / « La ville (s)low tech », https://www.revue-urbanites.fr/12-durand-cave-pierrat/

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