Décryptage : Puppets and politics, le pouvoir satirique du latex !

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Vous avez manqué le dernier événement Sciences sur le Pouce #24? Séance de décryptage du sujet présenté par Anna Street.

 

Les émissions de satire politique par des marionnettes sont apparues au début des années 80 en France avec le Bébête show, inspiré du Muppet show américain. Issues de la tradition littéraire de la satire, les « puppets » entretiennent un rapport critique – et critiquable ? – à la société.

« Les marionnettes de l’info : une culture très française ! » Originaire des États-Unis, Anna Street a découvert les satires en latex à son arrivée dans l’Hexagone en 2001. A cette époque, Les Guignols de l’info, créés treize ans plus tôt sur Canal + remportent une très forte adhésion du public. C’est l’un des programmes phares de la chaîne cryptée, cumulant à lui seul jusqu’à 3 millions de téléspectateur·trices. Rapidement, elles sont devenues un genre artistique à part entière qui s’est étendu sur tous les continents, toujours avec le même succès.

 

Les marionnettes font-elles de la politique ?

Les Guignols ont pesé lourd sur la culture française : la répétition des phrases fétiches et des stéréotypes des personnages a permis de rendre parfois plus populaire la marionnette que la personne elle-même. L'émission a même contribué à forger l'image de certaines personnalités, notamment politiques, en générant de l’empathie au sein du public : l'exemple le plus éclatant est sans doute Jacques Chirac, dont certain·es pensent que la marionnette a servi l’élection en 1995, jusqu’à sa « canonisation » populaire, en 2019.


L’emportement de la satire est inutile : il suffit de montrer les choses telles qu’elles sont. Elles sont assez ridicules par elles-mêmes
Jules Renard, journal (1893 – 1898)



Le néo-libéralisme est-il comique ?


Il s’agit de savoir si la politique néo-libérale est en soi un geste satirique, dont le mode comique serait l’expression ultime. Cela expliquerait la résonance qu’y trouve cette « esthétique systématique de l’exagération » induite par les marionnettes qui sont des caricatures grotesques mais aussi par la confusion entre sphère publique et sphère privée, très prisée par exemple de l’emblématique série britannique Spitting Image. Ces « clowns » deviennent des politicien·nes parce que nos politicien·nes sont des clowns ! Ceci n’est pas sans évoquer des théories anciennes, comme celle de Mark Twain, écrivain américain qui à la fin du XIXème siècle considérait la comédie comme inhérente à la sphère politique, et comme une arme de dissidence massive.


Satire : (Litt.) Écrit dans lequel l’auteur.trice fait ouvertement la critique d’une époque, d’une politique, d’une morale ou attaque certains personnages en s’en moquant.
CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales)



La satire est-elle vraiment l’expression d’une liberté critique ?

Au contraire, de nombreux philosophes d’Aristote à Bergson la voyaient plutôt comme une « excursion temporaire » de la réalité qui in fine renforce la hiérarchie en place, comme un instrument au service du pouvoir. « Make laugh, not work » ! Aujourd’hui, d’aucun·es perçoivent la satire comme un outil de résistance populaire, face à l’association de l’expertise et de l’élitisme. Sa nature serait de défier la norme sociale. Au service de qui ou de quoi ? C’est là toute la question. L’incarnation d’un contre-pouvoir dans les médias et leur niveau d’indépendance semblent jouer un rôle dans l’essor mais aussi dans le déclin de ces satires télévisées : en France, Les guignols de l’info ont disparu des écrans en 2018, après 30 ans d’antenne. Ils n’ont pas été remplacés.


[Des puppets show à travers le monde !
1982 : Bébête show (France)
1984 : Spitting Image (Grande-Bretagne)
1988 : Les guignols de l’info (France)
1993 : Kukly (Russie)
1995 : Las noticias del guignoles (Espagne)
2003 : Gustakhi Maaf (Inde)
2008 : Zanews – Puppet nation (Afrique du sud)]

 

Anna Street © Le Labo des savoirsAnna Street est Maître de conférence au département d’anglais de la faculté des Lettres, Langues & Sciences humaines de Le Mans Université.
D’un naturel enthousiaste et persévérant, elle a mené de front deux doctorats sur deux territoires : Études théâtrales à l’Université de Paris IV et Littérature comparée à l’Université de Kent à Canterbury. Sa thèse retrace le développement des théories de la comédie à travers l’histoire de la philosophie.
Entre théâtre et science politique, elle interroge désormais la « commédification » de la politique par le biais des marionnettes. Jacques Derrida, philosophe français dont Anna Street est une disciple, ne cherchait plus à savoir si le monde est absurde ou s’il a un sens, mais plutôt pourquoi le sens nous échappe toujours. A plus forte raison dans la comédie ?

 

Le laboratoire 3.L.A.M

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Rédaction : Agathe Petit, journaliste scientifique.

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